Les contes et légendes des monts d'Arrée



Les monts d'Arrée LA « NOCE DE PIERRE » (An Eured Vein)
Au pied du Mont-Saint-Michel de Brasparts, un alignement mégalithique comportant un alignement long de 300 m environ de 77 petits menhirs orientés est-ouest et d’une dizaine de menhirs selon des orientations sécantes, porte ce nom.
La légende veut en effet qu’une noce paysanne, possédée par le démon de la danse, ait refusé de laisser le passage au recteur de Brasparts qui allait porter l’extrême-onction à l’un de ses paroissiens mourant. Le prêtre ainsi que l’enfant de chœur qui l’accompagnait ont dû marcher à travers les landes et broussailles pour accomplir leur mission.
Quant aux noceurs, ils ont été punis pour leur méchante attitude : à la dernière note de la dernière danse, ils ont été changés en statues de pierres.


LE YOUDIG
Le marais du Yeun Ellez s’étend sur les communes de Brasparts, St-Rivoal, Botmeur, La Feuillée, Brennilis et Loqueffret, au sein des monts d’Arrée.
Au milieu de cette vaste étendue de tourbière bouillonne une mare noire, croupissante et sans fond: le Youdig (petite bouillie), la porte de l’enfer la plus célèbre et la plus redoutée de Cornouaille et de Bretagne. Le Youdig ne conduit pas à l’enfer brûlant des chrétiens, mais à un monde glacé et obscur, le monde de l’attente, l’enfer froid des morts tel qu’il apparaît dans les mythologies celtes et nordiques.
C’est à cet endroit que, de toute la Bretagne, on venait jeter les chiens noirs dans lesquels les esprits mauvais avaient été exorcisés par les prêtres puis emprisonnés.

LE SANTIK COZ
Nous évoquons ce conte avec précaution car nous ne l'avons trouvé que dans une source: "Contes et Légendes du Finistère" de Loïg Pujol aux éditions De Borée. Nous ne pouvons donc pas dire s'il s'agit d'une création littéraire ou d'un conte traditionnel.
Il arrive tous les onze cents ans à onze heures que le Roc Trévezel qui marque la limite entre la Cornouaille et le Léon s'ouvre et révèle à l'audacieux qui ose entrer des salles remplies de pommes plus appétissantes les unes que les autres. Si on ne se laisse pas trop distraire, on parvient au fond à une dernière salle où se trouve une petite statuette en bois qui réalise tout ce que l'on souhaite. On l'appelle "Santik Coz" ou "vieux petit saint". Il suffit de lui frotter la tête en formulant son souhait et il est réalisé dans la seconde qui suit.
Un jeune homme qui avait pu le récupérer s'en servit pour devenir riche et se marier. Une fois établi, son épouse, qui pensait lui faire plaisir, échangea la vieille statue du saint contre une neuve.
Le jeune homme remua ciel et terre pour retrouver sa statue mais lorsqu'il y parvint, le vieux saint lui déclara qu'il en avait fait assez pour lui et qu'il retournait au Roc Trévézel pour onze cent nouvelles années.

LA FONTAINE DES TROIS EVEQUES
Une route monte du RELEC vers les crêtes des Monts d’Arrée. Quelque part sur cette route se trouve la fontaine des trois évêques, point de rencontre des évêchés de Cornouaille, du Léon et du Trégor.
Les évêques de ces trois diocèses pouvaient s’y désaltérer sans quitter leur territoire respectif. La légende raconte qu’à la suite d’un marché dont on ne connaîtra jamais les termes, le diable aurait fixé les limites des frontières de l’un des évêché. Au profit de qui ? Pour quelles raisons ? Allez savoir ! …c’est ainsi qu’aujourd’hui encore la localisation exacte de cette fontaine reste un mystère. La photo résulte d’indications reçues sur place, sans garantie d’authenticité.

POTIG DE BRASPARTS ENTRE AU PARADIS
Franchig Kerneis naquit à Coat-Compez, en Brasparts, presque au pied du mont Saint-Michel. C’était un homme qui faisait honnêtement son métier de cultivateur, vivant avec sa famille dans une bonne aisance, ne médisant pas de ses semblables, aimant son prochain, remplissant de son mieux ses devoirs de chrétien, à tel point qu’il devint par sa conduite un des meilleurs paroissiens du recteur qui le citait en exemple au village.
Cependant, au bourg de Brasparts, Franchig Kerneis avait un vague cousin du même nom et prénom, connu à la ronde sous le sobriquet de « Potig » Kerneis. Bien qu’apparentés, presque du même âge, les deux cousins ne se ressemblaient pas.
Autant Franchig de Coat-Compès avait une existence irréprochable, autant son cousin menait une vie désordonnée. Potig, ayant passé sa jeunesse dans l’armée, y avait contracté de mauvaises habitudes. Il était ivrogne, menteur, mécréant, bref, un mauvais sujet fuyant les gendarmes qui essayaient parfois de le calmer, évitant le recteur qui tentait de le ramener à la raison.
– Moi, je suis libre; je ne connais ni chef, ni supérieur. Buvons, dansons, prenons la vie du bon côté, elle est trop courte pour qu’on la gâche, avait-il l’habitude de dire.
Maréchal-ferrant, il ne séjournait ps longtemps chez le même patron où toujours quelqu’un ou quelque chose le contrariait. Il avait couru toute la Cornouaille sans trouver la bonne place dont il rêvait, puis, un jour, vieilli, fatigué, repenti, il revint mourir à Brasparts, n’ayant même pas un écu pour faire réciter une prière pour son âme. Et c’est ainsi qu’il se présenta à la porte du Paradis:
– Toc, toc.
Par le judas, un œil le dévisagea.
– Votre nom et adresse?
Ne se sentant peut-être pas en règle, Potig se présente sans donner de détails.
– Franchig Kerneis, de Brasparts.
– De Coat Compèz?
– Oui.
– Entrez, votre place est réservée en raison de votre bonne vie terrestre qui nous a donné satisfaction. Ce n’est pas comme votre cousin, Potig, du bourg, celui-là on l’attend aussi sans tarder, mais pas ici, bien sûr!
C’est donc par ruse, par mécompte, en trichant, que Potig entra au céleste séjour avec les fonctions d’aide-portier, par ordre d’un tout petit secrétaire qui le reçut en l’absence de Saint Pierre en vacances.
Dans son nouveau poste, Potig se tenait très bien, essayant de se montrer digne de la charge qui lui était assignée.
Jamais le grand portail, les vitres du Ciel ne furent plus propres, tout brillait et c’était plaisir de les voir.
Cependant les habitués avaient remarqué que Potig ne s’éloignait guère de la porte d’entrée; on aurait dit qu’il attendait quelqu’un pour être le premier à lui souhaiter la bienvenue. Ce quelqu’un, c’était son cousin Franchig Kerneis, de Coat-Compèz, dont il tenait la place illégalement. Aussi vous comprenez que notre lascar n’avait pas hâte de le voir arriver par crainte d’une explication orageuse. Il arriva cependant un jour.
Potig, qui guettait les entrées, le reconnut de loin. A travers les carreaux, de son plumeau lui fit signe d’attendre, et il attendit cent ans.
Au bout de ce temps, impatienté, malgré les signaux désespérés de Potig, il osa frapper au portail où saint Pierre était de service.
– Toc, toc.
– Qui est-ce?
– Franchig Kerneis, de Coat-Compez, en Brasparts.
– Mais vous êtes au ciel depuis cent vingt ans!!!
– Pas possible, il doit y avoir une erreur!
Non, non, les registres sont là; votre nom est pointé comme entrant; vous êtes aide-concierge.
– Mais nous étions deux Franchig Kerneis à Brasparts. Il y avait moi et mon cousin Potig, mort depuis très longtemps.
– Tiens, tiens, je parie qu’il y a eu malentendu pendant que j’étais en vacances.
On compare les registres et les listes nominatives avec les adresses exactes et l’on s’aperçoit vite du subterfuge. Alors saint Pierre, l’œil courroucé, s’adressant à Polig:
– Comment, gredin, tu as osé donner un faux nom pour usurper la place d’un honnête homme, de ton cousin, en plus?
Il appelle le petit secrétaire qui dut reconnaître avoir admis Potig par mégarde, n’étant pas très au courant des us et coutumes des fonctions de portier.
– Comment allons-nous arranger cela, dit saint Pierre? Je sais que ce n’est pas tout à fait la faute de Potig, mais plutôt la vôtre; aussi, je vous préviens que votre avancement sera retardé. Cependant, comme nous n’avons pas l’habitude d’expulser nos bons serviteurs, nous sommes dans l’obligation de garder Potig, qui, d’ailleurs, est un excellent travailleur.
Et c’est ainsi que Potig, le joyeux luron, fut encore plus heureux au Ciel qu’il ne l’avait été sur terre.
On peut dire qu’il était né sous une belle étoile.
Extrait du livre « Contes et récits des montagnes d’Arrée » de R. Trellu (1956)



Le diable en filleLE DIABLE EN FILLE
Si le bon Dieu et les saints venaient autrefois se promener dans nos campagnes bretonnes, le diable ne s’en privait pas lui non plus, ainsi que nous le verrons tout à l’heure.
À une époque où le compagnonnage existait, tous les ouvriers faisaient leur tour de France. Ils étaient fiers, ces artisans, avec leurs grandes cannes enrubannées, parcourant les routes en tous sens, et s’interpellant ainsi lorsqu’ils se rencontraient :
— Tope ! pays, quelle vocation ?
— Charpentier.
— Et toi, pays ?
— Tailleur de pierre.
Selon qu’ils étaient ou n’étaient pas du même corps de métier, ils buvaient à la même gourde, ou bien se disaient en se toisant :
— Passez au large !
Souvent ils se livraient bataille, et ensanglantaient l’herbe du chemin.
Les compagnons, dans leur vieillesse, aimaient à parler de leurs voyages, comme les vieux soldats de leurs batailles.
Nous nous rappelons avoir connu, autrefois, un ancien compagnon corroyeur qui, aux veillées d’hiver, se plaisait à narrer ses aventures et celles de ses camarades, c’est à lui que nous devons le conte du diable changé en fille.
Un matin, deux compagnons charpentiers quittèrent Rennes pour se rendre à Brest, où ils espéraient trouver de l’ouvrage.
Après cinq jours de marche, ils parvinrent à Brennilis en début d’après-midi. Après avoir pris un repas dans l’auberge de Marg’rite Courtillon, rue de la Rouëre, ils s’en allèrent se reposer sur les bords du bel étang qui fait l’ornement de la petite ville. Comme ils étaient fatigués, ils se couchèrent sous les tilleuls où ils ne tardèrent pas à s’endormir.
Lorsque les deux voyageurs se réveillèrent, les étoiles commençaient à briller au firmament. Ils prirent un bain pour achever de se défatiguer et continuèrent leur route.
Le repos qu’ils avaient pris avait été de trop courte durée, sans doute, car ils marchaient péniblement, leurs pieds buttaient contre les cailloux, et la conversation languissait.
En montant les monts d’Arrée, l’un des voyageurs dit à son camarade :
— Il nous faudrait une jeunesse bien éveillée pour nous émoustiller un brin.
— Hélas ! répondit l’autre, les jolies filles ne courent pas les chemins à pareille heure.
Celui-ci venait à peine d’achever ces mots qu’ils entendirent piétiner à leurs côtés, et ils aperçurent, sans savoir d’où elle venait, une femme qui leur sembla jeune, et qui leur demanda la permission de faire la route avec eux. Bien qu’ils fussent de solides gaillards, ils éprouvèrent un sentiment d’effroi, tellement l’apparition de cette inconnue avait été subite, et tellement sa présence dans ce lieu désert leur semblait étrange.
Sous le prétexte qu’ils étaient pressés, ils allongèrent le pas, espérant ainsi se débarrasser de cette femme ; mais ils eurent beau faire, elle marchait tout aussi vite qu’eux.
Lorsqu’ils atteignirent le village de Sizun, ils virent de la lumière dans un cabaret, et le moins brave des deux voyageurs déclara qu’il avait soif, et qu’il allait entrer se rafraîchir ; son camarade le suivit, et l’inconnue en fit autant.
Tous les trois pénétrèrent dans l’auberge, et prirent place à une table où on leur servit une bouteille de vin blanc. L’un des compagnons remarqua, à la lueur de la chandelle, que la voyageuse avait au bout des doigts des griffes qui perçaient ses gants, et des pieds qui ressemblaient plutôt à ceux d’un jeune poulain qu’à ceux d’une femme. Il fit part de sa découverte à son camarade, qui se leva de table comme pour aller allumer sa pipe au foyer ; mais avisant l’aubergiste, il lui fit signe de sortir, et lui raconta la rencontre qu’ils avaient faite, et ce qu’ils venaient de voir.
Le maître de la maison était un ancien militaire qui n’avait pas froid aux yeux, aussi dit-il :
— Soyez tranquille, je me charge de tout ; seulement invitez-moi à boire avec vous.
Lorsque tous les quatre furent à table, l’aubergiste prit son verre et au lieu de le porter à ses lèvres, il en jeta le contenu à la figure de la voyageuse.
Un bruit semblable à une explosion se produisit, la vaisselle de la maison fut brisée, les vitres de la fenêtre volèrent en éclats, mais le diable — car c’était lui — avait disparu.
Les deux ouvriers continuèrent leur voyage, sans pouvoir deviner comment le cabaretier s’y était pris pour les débarrasser de leur compagnon de route. Ce n’était pourtant pas sorcier, l’aubergiste s’était servi un verre de liqueur de chartreuse, l’alcool distillé par les moines du même nom et béni avant d’être mis en bouteille.

MINUIT DANS LES MONTS D’ARREE
Si à minuit dans les monts d’Arrée, vous entendez une cornemuse dont les sons n’ont rien d’humain sans pouvoir voir celui qui en joue, c’est que vos aïeuls vous attendent. Vous les trouverez assis autour d’un chêne ou d’une pierre druidique. leurs emplacements tout autour sont marqués par des tisons enflammés.

L’EMPRISONNEMENT DES CONJURES
En Cornouaille, les cercles où la puissance des prêtres exorcistes enfermaient les conjurés, c’est-à-dire ceux qui, n’étant pas morts en état de grâce, venaient tourmenter les vivants, étaient toujours dépourvus de végétation à l’intérieur.
Parfois, lorsque cela était possible, le prêtre enfermait l’esprit dans un chien noir pour aller jeter ensuite ce dernier au Yeun Ellez, tourbière des Monts d’Arrée où selon la tradition se trouve une des entrées de l’enfer dans une petite mare noirâtre appelée Youdig. Le conjuré était maintenu dans l’animal par l’étole que le prêtre nouait autour de son cou. Le chien était ensuite confié à un colporteur rétribué spécialement pour cette tâche de l’emmener au Yeun Ellez.

La vache fantômeLA VACHE FANTÔME
Dans la commune de Brennilis, dans les monts d’Arrée, il y a un champ, et quand quelqu’un a, la nuit, le malheur de franchir les clôtures, il entend tout de suite le bruit d’une cloche d’argent.
Les uns disent que c’est l’âme de celui à qui avait appartenu le champ, les autres disent que c’est une vache qui avait été foudroyée dans le champ même, et qui y vient paître toutes les nuits en faisant ce bruit de cloche.

COMORE OU CONOMORE, LE BARBE BLEU BRETON
Au VIème siècle, le Comte de Plusigner, CONOMORE possédait un château au lieu-dit « La Motte »où l’on peut encore aujourd’hui apercevoir les vestiges ainsi que le rocher où il déposait ses armes en revenant de la guerre. Il régnait sur toute la Cornouaille et le Poher vers 550 et a connu le fils de CLOVIS, le roi Franc CHILDEBERT 1er.
La capitale de son royaume était Carhaix. Au VI° siècle, l’oppidum gallo-romain de Carhaix, lieu élevé dont les défenses naturelles ont été renforcées au temps des Celtes était encore suffisamment puissant pour qu’un seigneur en fit le point central de ses domaines. Le sanguinaire COMORRE était Tierne de Poher, c’est-à-dire qu’il avait un pouvoir légal et était un agent du pouvoir central représenté, à l’époque, par les francs. Ce surnom de CONOMOR ou COMORRE venait de KONOMOR qui signifie « Le grand chef ». Il régnait en maître sur ses domaines. Sa réputation était effroyable parce qu’il tuait et pillait pour le plaisir.
Voici ce que dit la légende :
Le comte de CONOMORRE, épousa, une femme très belle et très douce. Or, peu de temps plus tard, un devin lui prédit qu’il périrait de la main de son fils. Il crût à la prophétie et prit peur. Lorsque son épouse fût enceinte il lui coupa la tête pour ne prendre aucun risque.
Il se remaria cinq fois et tua de la même façon ses épouses dès qu’une naissance était annoncée.
Un jour, il se rendit au Monastère d’un saint homme nommé Gildas (futur Saint Gildas et dont le monastère s’appelle depuis Saint-Gildas-de-Rhuys), qui avait pour protecteur, GUERECH, (ou WAROCK) Comte de Vannes. Celui-ci avait une fille, TRIPHINE et quand CONOMORREla rencontra, il fut si épris de sa beauté qu’il alla la demander en mariage à son père.
A cause de la réputation de CONOMORRE, le comte de Vannes, qui n’osait pas refuser de crainte d’une guerre, demanda conseil à SAINT GILDAS qui imposa à CONOMORRE une retraite d’une année pour racheter ses fautes passées. CONOMORRE, poussé par l’envie d’épouser TRIPHINE, se montra si pieux et si obéissant pendant un an que Gildas, touché par ce repentir miraculeux, conseilla au Comte de Vannes d’accepter cette union. Le mariage fut célébré avec faste et tout se passa bien pendant plusieurs mois.
Cependant au retour d’un long voyage, CONOMORRE surprit dans son château sa jeune épouse occupée à broder un bonnet de nouveau-né. Il apprit ainsi de TRIPHINE attendait un enfant. A cette nouvelle, il se mit dans une colère épouvantable et déclara qu’il allait la tuer et la fit enfermer dans son château.
Toutefois, TRIPHINE réussit à s’enfuir mais sa course effrénée dans les bois pour s’échapper fit précipiter l’accouchement et TRIPHINE mit au monde un fils. Prenant son bébé dans les bras, épouvantée, elle reprit sa course.
Entre temps, CONOMORRE avait découvert l’évasion de sa prisonnière. Il se lança à sa poursuite avec ses soldats. Il la rejoignit au sommet d’une colline et lui trancha la tête d’un seul coup d’épée. Il repartit aussitôt dans son château, sans même se retourner, laissant le nourrisson près du cadavre de sa mère, mourir de faim ou pire, être dévoré par les loups !
Or la légende dit que Dieu ne permit pas ce meurtre. GUERECH, le père de TRIPHINE, miraculeusement prévenu, alerta son ami Saint-Gildas. Ils arrivèrent tous deux à grande chevauchée sur les lieux du crime. L abbé ne dit qu’un mot et TRIPHINE, pourtant décapitée se leva, saisit sa tête d’une main et de l’autre prit son enfant. Elle marcha alors vers le château de CONOMORRE suivie par les deux cavaliers.
A la porte du château, SAINT-GILDAS somma le meurtrier de recevoir sa femme et son enfant, mais personne ne répondit. Alors, il prit une poignée de terre et la jeta vers les tours qui s’écroulèrent, les courtines s’effondrèrent et le seigneur sanguinaire fut enseveli sous les ruines avec ses hommes d’armes.
Saint-Gildas replaça alors la tête de TRIPHINE sur ses épaules et baptisa l’enfant sous le nom de TRÉMEUR qui, plus tard, devint moine du monastère de Saint-Gildas-de-Rhuys et, à Carhaix, une église lui est dédiée dont portail nord possède une statue qui le représente.
On dit aussi qu’à l’age de neuf ans, il rencontra son père. Celui-ci le décapita par surprise mais TREMEUR emporta sa tête sur la tombe de sa mère et survécut grace au miracle de SAINT-GILDAS.
CONOMORRE réussit à s’enfuir. SAINT-GILDAS parcourut alors la Bretagne pour dénoncer les agissements de ce seigneur. Il réussit à réunir en 548 un concile civil et ecclésiastique qui le jugea coupable. Il fut alors excommunié et dépossédé de tous ses biens et se mit à errer en Bretagne.
CONOMORRE continua pourtant ses exactions. Il tua son frère IONA, roi de Domnonée, et épousa sa veuve. Celle-ci avait un fils, JUDUAL, héritier légitime du royaume de son père. Dépossédé, par son beau-père de ses terres et de ses biens, il livra bataille à CONOMORRE dans les monts d’Arrée. C’est lors du troisième combat qu’il le transperça d’un coup de javelot.
Malgré toutes les précautions de CONOMORRE, la prédiction s’était donc étrangement réalisée !

L’ARMORIQUE, CORPS DU DRAGON
A l’époque où la science n’expliquait pas encore le monde, les gens de Cornouaille considéraient que la péninsule armoricaine était le corps du dragon tué par Saint-Michel. Les monts d’arrée en étaient la colonne vertébrale et le Finistère la tête, d’où son nom breton de Penn Ar Bed (tête du monde).

SAINT MICHEL DE BRASPART
Le marais de Saint-Michel en Brasparts était, il y a plus de mille ans, occupé par une vaste forêt, au milieu de laquelle s’élevait un château superbe. Une nuit d’hiver, un pauvre pèlerin y pénétra, et demanda au baron une petite place sur son domaine pour y élever un oratoire.
Le seigneur, qui vivait là avait fait un pacte avec le diable. En échange de la création d’une porte des enfers sur son domaine, Satan pourvoyait à sa richesse.
C’est pourquoi le baron démoniaque, furieux, fit mettre le pèlerin au cachot, et déclara que le lendemain ce dernier servirait de « bête à chasser » dans la forêt.
On lui donna cent pas d’avance et la meute fut lancée après lui. Mais au milieu de la chasse, un page vit le pèlerin déployer des ailes et s’envoler devant les chiens. Lorsqu’il arriva au sommet de la montagne, le baron vit, à la place du fugitif, un ange resplendissant de lumière.
« Je suis Saint Michel, dit-il dans une voix de tonnerre. Ton impiété a permis aux enfers d’avoir un accès permanent sur cette terre, ta terre! Aussi n’y aura-t-il plus que des bruyères et de la lande inculte là où avant s’élevaient forêts et prairies ! Et je me ferai édifier une chapelle pour veiller à ce que rien ne s’échappe de la porte que tu as permis de construire! »
Le baron fut frappé par la foudre et englouti par la terre.
Depuis, dans la vallée, là où s’élevait son très riche domaine, il n’y a plus que des bruyères que l’on dirait brûlées par un feu souterrain, ainsi qu’un sombre marécage entouré de noirs taillis: le Yeun Ellez.

L'archange St MichelSAINT MICHEL DE BRASPARTS (2eme version)
Il y a mille ans et plus, le marais du mont Saint-Michel entre Botmeur et Brasparts était couvert d’une épaisse forêt, si épaisse qu’une nuit éternelle régnait sous ces arbres étranges. Impénétrable comme un nouveau monde, cette forêt vierge avait pourtant en son milieu un superbe château ignoré du reste de l’Armorique habité par un seigneur païen, le baron de Botmeur. Son domaine était assez grand pour lui fournir, ainsi qu’à ses valets, une riche pitance. Jamais personne n’osait violer cette noire forêt. De plus un garde veillait en permanence sur le seul sentier qui conduisait au castel.
Un soir d’hiver, juste avant la tombée de la nuit, un pèlerin à la démarche légère et noble, la figure angélique et la chevelure d’or flottant dans la brise apparut.
Ce pèlerin gravissait cet étroit sentier. L’archer, qui veillait sur le rempart, s’apprêtait à décocher un trait à ce noble visiteur sans armes. Un enfant, s’élança sur l’archer et arrêta la flèche.
« Que faites-vous, malheureux, s’écria l’archer ? Que dira notre maître ? Vous savez bien que tout mortel qui a vu ces tours doit mourir ! »
Déjà l’enfant était descendu à la rencontre de l’étranger.
– Arrêtez, lui dit-il, disparaissez, il y va de votre vie !
– Je ne crains rien, dit le voyageur, Jésus me protège !
– Jésus, reprit l’enfant, quel joli nom. Et que veut-il donc dire ?
– Salut, bonheur et bénédiction éternelle !
– C’est beau comme votre visage mais fuyez je vous en conjure. Si mon maître nous surprenait, ce serait fini de nous deux !
– Un serviteur de Dieu ne fuit jamais ! Il ne craint pas les pièges du démon !
– Qu’est-ce donc encore que le démon ?
– C’est l’ennemi du genre humain. C’est le mal, se ruant sur les hommes avec ses pieds fourchus et ses ongles de fer. C’est la colère avec l’écume aux lèvres et des dents de loup prêtes à tout déchirer.
– C’est affreux, s’écria le gamin, mais cela ressemble beaucoup à Arvaro, le majordome du château. C’est lui qui dirige à son gré le sire de Botmeur…
Au même instant, la porte du château s’ouvrit, laissant passer le châtelain suivi de ses compagnons dont Arvavo. A la vue du visiteur, ce dernier se mit à frissonner si fort qu’on entendit claquer ses os.
– Qu’avez-vous donc, lui demanda le sire de Botmeur ?
– Rien, c’est le vent qui remue les branches mortes ou le pont-levis qui craque sous nos pas !
– Certes non, reprit le seigneur de Botmeur, c’est votre carcasse qui tremble ! Mais qui est cet impudent et pourquoi n’est-il pas déjà mort ?
– Je demande simplement, coupa l’étranger, d’élever dans votre château un oratoire où les bons prieront et où toi-même, orgueilleux baron, viendras arroser les dalles de tes larmes !
D’abord surpris, le sire se ressaisit :
– Puisqu’il veut rester avec nous, jetez-le dans un profond cachot. Et que demain, cet audacieux nous serve de bête à chasser ! Notre jeune serviteur qui a su protéger cet étranger excitera mes limiers !
Le lendemain, au petit jour, le prisonnier fut lâché en forêt et la chasse, digne de l’enfer, commença.
– Taïaut, taïaut, lançait l’affreux Arvaro, mais l’étranger courait comme un daim dans les bois, volait comme un oiseau au-dessus des ravins.
Les chiens s’essoufflaient, les cors faiblissaient et le cheval du baron s’effondra. Arvaro le prit en croupe et continua avec rage la poursuite infernale.
Déjà, ils sortaient de la forêt, et escaladaient sans s’en rendre compte les sinistres montagnes.
Au sommet, le fugitif s’arrêta net.
Les horribles poursuivants le virent alors déployer ses ailes.
Le cheval d’Arvaro s’abattit à son tour.
Quand le sire de Botmeur revint à lui, il découvrit un étrange spectacle: l’étranger s’était transformé en un splendide ange blanc, à la place d’Arvaro et de son cheval, quelques cendres fumaient encore et, dans la vallée, l’épaisse forêt avait disparu faisant place à une lande roussie, parsemée de noires tourbières.
L’ange dit d’une voix douce :
« C’est ici que tu voulais faire sonner la fanfare de ma mort, et c’est ici que tu feras pénitence ! Dieu te pardonnera. »
Aujourd’hui, à l’endroit même où s’était volatilisé Arvaro, se dresse la chapelle de Saint-Michel-de-Brasparts. Le petit serviteur du château qui avait sauvé le visiteur devint moine et ermite.

L’ERRANCE DE SAINT COULAOUEN
Depuis qu’il ne reste que des débris de l’oratoire de Saint Coulaouen à Brasparts, le saint n’ayant plus d’endroit où poser sa tête, erre comme une âme en peine à travers les prés et les taillis du ravin. Des gens l’ont rencontré, vêtu comme l’était sa statue dans la chapelle. Il rôde sans cesse autour des ruines de sa maison, suppliant qu’on la lui rebâtisse.

ROC’H BRAZ
Sur la route venant du Faou et à peu de distance de Brasparts, se dresse un menhir, Roc’h Braz, « la grande roche ».
Tout auprès s’ouvre encore un vieux chemin, dans lequel vient s’épandre un petit ruisseau. Ce chemin, qui part de l’église, était en fait l’ancienne route du Faou, et cheminait par Roc’h Braz , Botquest, Rugornou, Croix Saint Sébastien. C’était là la route quotidienne de saint Tujan qui vivait à Kerbraz…
Au pied du menhir, sous la route actuelle du Faou, dans ce qui était autrefois une lande caillouteuse, toute embroussaillée, se trouve, dit-on, un trésor… Certaines nuit, on entendait les pièces s’entrechoquer et l’on racontait que ce trésor était gardé par quelques korrils, ces korrigans qui habitent les landes et qui passent leurs nuits à danser des rondes au clair de lune… Des « fées d’eau » erraient tout autour, sans bruit, et toujours deux par deux…

LE TRÉSOR DU ROC’H BRAZH
Au temps dont je parle, les korrils étaient encore assez nombreux, et, la nuit venue, bien peu de gens osaient s’aventurer près du Roc’h Braz…Etre entraîné dans la ronde infernale jusqu’au chant du coq n’était pas pour rassurer les braspartiates. Sans compter, qu’en contre-bas, il y avait un lavoir que les commères disaient occupé, les nuits de novembre, par les “kannérez-noz”, ces terribles lavandières de la nuit qui battaient leurs draps mortuaires en chantant le bien triste refrain: “Jusqu’à ce qu’il ne vienne chrétien sauveur, Il nous faut blanchir notre linceul, Sous la neige et le vent…”
Trois hommes de la paroisse, forts et courageux car bons Cornouaillais, avaient, comme beaucoup d’autres, entendu parler de ce trésor. Ils se nommaient Fañch, Lannig et Yvon. Un soir de novembre, quelque peu éméchés par le bon cidre de François Le Meur, ils s’enhardirent et décidèrent de savoir… « Laisse aller… c’est un conte pour les enfants. » « Essayons toujours! » Et rendez-vous fut pris pour le lendemain soir.
Et voilà nos compères attendant la nuit, faisant le tour des cabarets et auberges du bourg, fort nombreux à cette époque, et vidant bolée sur bolée. L’horloge de l’église sonnant onze heures, les trois amis se décidèrent, partirent récupérer qui une pioche, qui une pelle et se retrouvèrent au pied du menhir…
La terre étant meuble, les travaux furent d’abord aisés… Et puis l’on tomba sur des pierres, et nos trois lascars s’encourageaient… Lors d’une courte pause, ils découvrirent qu’un petit homme s’était assis non loin de Roc’h Braz et les contemplaient… « Bonsoir, les amis, vous voilà bien en peine. Que cherchez-vous à pareille heure? ».
Nul ne répondit, tant les trois étaient occupés à besogner. Et le petit homme riait…. « Peut-être est-ce bonne fortune que vous cherchez? Creusez, mes amis, creusez! Voilà un tintement qui devrait vous plaire… ». A cet instant, les compères entendirent résonner sous leur pelles et leur pioche un tintement métallique: un coffre apparut rapidement. Et le petit homme riait, riait. « Courage! Dégagez-le ! Vous y êtes ». Pourtant, nos amis avaient beau s’escrimer autour du coffre, celui-ci semblait s’enfoncer dans la terre à chaque pelletée, tout en émettant un son pareil à celui de pièces qui s’entrechoquent…
Et le petit homme n’était plus seul. Toute une troupe de nains entourait les trois compères et commencaient leur ronde: – dilun, dimeurz, dimerc’her… Fañch, épuisé par le labeur, venait à son tour de faire une pause: il fut saisi par les poignets, et entraîné par les korrils au milieu de la lande…
Quant à Lannig et Yvon, ils œuvraient sans cesse, rêvant au trésor enfoui. Un trésor qui s’enfonçait toujours… Soudain, la caisse sembla tomber dans un puits d’une profondeur incroyable, faisant tinter l’or si convoité une dernière fois: tout disparut dans des gerbes de feu….
Le lendemain, le bedeau de Brasparts, homme sage et pieux, qui logeait à Keraniliz, à l’entrée même du chemin qui mène à Roc’h Braz, et faisait sa promenade quotidienne, retrouva deux corps calcinés au pied de Roc’h Braz. Quant à Fañch, on le retrouva plus tard, mort d’épuisement, au milieu de la lande , pas très loin de Tuchennou.
Certains disent que le bedeau les revit un jour tous les trois dans le cimetière de Brasparts, près du tombeau de Fañch et qu’ils le prièrent de faire célébrer une messe pour leur âme… Le recteur décida de christianiser les lieux et une statue de la Vierge fut installée au sein même du rocher.
On n’entendit plus jamais parler du trésor de Roc’h Braz, des korrigans et des lavandières de la nuit, du moins en ces lieux…

LA LEGENDE DE SAINT CADUAN DE BRASPARTS
Saint Caduan est né en Petite Bretagne vers le 5ème siècle. Après avoir été ordonné prêtre, il suivit saint Germain en Grande Bretagne. Peu après, Il retourna en Petite Bretagne et fut envoyé prêcher la foi à la paroisse de Brasparts. Là, Paolig an Diaoul (le Diable) menait beau jeu, semant le désordre : vols, meurtres, adultères, etc. Personne ne respectait le bien d’autrui. Aussi Paolig était-il le maître du pays et ramassait les âmes en abondance.
Au début, le saint eut beaucoup de mal à faire venir les gens pour l’écouter.
Pourtant, peu à peu il parvint à rassembler les petits enfants qui étaient nombreux, à cette époque, à garder les moutons. Vêtus d’une veste en peau de mouton roux, ils avaient appris à chanter des cantiques et des louanges à Dieu. Ils rapportèrent la renommée du saint à leurs parents, qui vinrent peu à peu écouter les belles prédications, et se convertirent.
En peu de temps, la plupart des gens des environs étaient transformée, car les chansons et les sermons qu’on leur faisait dans la cabane, bâtie à l’abri de Roc’h-Dialc’huez (« La Roche sans clé ») leur plaisaient beaucoup. Ce qui les frappa surtout le plus fut de voir le saint faire jaillir l’eau de cette roche pour casser la soif durant les journées de chaleur. Depuis ce temps-là, dans cette fontaine miraculeuse, il ne manqua jamais d’eau.
Un jour, le Seigneur de Mener-ar-Park (« Manoir du Parc »), à la chasse, passa par la Roche sans clé. Entendant le chant mélodieux des gardiens de moutons, il entra dans la cabane. Il fut tout étonné de voir tant de monde écoutant le chant et les louanges, et lui-même, il resta écouter… Le temps se fit mauvais et un vent de tempête risqua d’abattre la cabane au bord du marais… A la fin du chant et des prédications, “venez avec moi ! dit le Seigneur au saint, je vous donnerai un endroit et de quoi bâtir une église ; vous y serez sans souci pour faire vos prédications »… En peu de temps, l’église fut bâtie, où le saint travailla pour le plus grand bien des âmes.
Mais Paolig le diable n’y trouva pas son compte. Un jour, Lucifer, le grand chef des diables appela Paolig pour lui dire d’aller voir pourquoi ne venait plus en enfer aucune âme du pays de Brasparts. Paolig monta sur la haute colline appelée « colline saint Michel » ; en regardant tout autour, il vit un grand nombre de gens qui venait de la « Roche sans clé » où le saint venait de prêcher et d’apprendre leurs croyances aux gardiens de moutons. Lorsque Paolig y arriva, il vit le saint en train de prier et de méditer près de la Roche.
– Bon jour à vous, saint ! dit Paolig.
– Bon jour à vous, diable ! dit le saint.
« Je suis cornu, se dit Paolig, et il m’a reconnu. Pourtant je croyais que mes cornes étaient cachées dans mon haut chapeau mou (et, en regardant ses pieds) c’est à ces maudits pieds fourchus qu’il m’a reconnu ! »
– Comment allez-vous dans ce pays sauvage ? reprit-il.
– Très bien, dit le saint, et vous-même ?
– Oh avec moi ça va très mal depuis que vous êtes venu au pays. Je suis étonné de voir combien de gens vous pouvez rassembler dans une cabane aussi vilaine et mauvaise pour écouter vos prédications.
– Bientôt, dit le saint, je ne viendrai plus ici car on vient de m’élever une chapelle à l’abri de la colline Saint-Michel.
« Celui-là se dit Paolig, est un mauvais fripon que je n’aime pas beaucoup… »
– Montrez-moi donc votre église neuve ! dit-il au saint.
– Bien volontiers, dit le saint.
Et les deux de s’en aller jusqu’à l’église neuve.
– Peuh ! dit Paolig, si c’est avec une telle cabane que vous pensez convertir ce pays, vous vous trompez !
– Entrez-y, dit le saint, et vous verrez que l’intérieur est plus beau que l’extérieur.
– Je n’irai pas, répliqua le diable, car j’ai vu de l’eau bénite dans le bénitier. Par le trou de la clé, je verrai assez bien.
Il met son œil sur le trou de la clé.
– Il y a une image sur l’autel, dit-il. Ce n’est pas vilain, mais c’est peu de chose pour attirer les gens de votre côté… Venez avec moi, venez voir mon château que j’ai bâti sur le sommet du mont Toulaeron (« le trou des voleurs »), là-bas entre Spézet et Gourin… Celui-là sera à vous, si vous voulez m’obéir.
– Allons-y, dit le saint, voir ce beau château.
– Mais je ne veux pas, dit Paolig, que vous ayez de l’eau bénite avec vous !
Le saint donna son assentiment.
Avec un sifflet attaché à son cou, Paolig siffla trois fois, et aussitôt on vit venir un char (une charrette) traîné par deux chevaux noirs, crachant du feu par les naseaux. Dès que le saint fut monté dans le char, près de Paolig, les chevaux coururent aussi vite que le vent vers Toulaeron. En peu de temps ils étaient arrivés.
– Je vois, dit le saint, que votre château est bâti sur de beaux piliers de marbre, de toutes les couleurs, avec des médailles d’or tout autour.
– Entrez, dit Paolig, il ne tombera pas sur vous !
– Peut-être que si, dit le saint, en s’en allant jusqu’à la porte. D’ici je vois très bien, dit-il, et en étendant la main et le bras : C’est beau là-bas, c’est beau à gauche, c’est beau à droite »
Il fit ainsi le signe de croix sans que Paolig le sache.
Aussitôt on vit le manoir trembler, les piliers tomber en poussières, et le tout tomber en ruines. Le saint près de la porte s’en alla sain et sauf.
Paolig, lui n’en eut pas le temps et eut la jambe cassée par une grosse pierre. Lucifer le fit récupérer et l’on dit que depuis ce temps, il y a aux enfers un démon boiteux plus grincheux que les autres.

Le serpent de BotquezLE SERPENT DE BOTQUEZ
Dans la commune de Botquez, le beau sexe fut jadis victime d’un fléau: c’était un énorme serpent qui se tenait en face du cimetière, au village de Botquez.
Le monstre y avait fixé son habitation dans le creux d’un arbre antique, et, dévoré par une faim lubrique perpétuelle, il fallait lui livrer chaque année une des plus jolies filles de la paroisse ! … Heureusement que Brasparts n’a plus que le souvenir de sa voracité; mais l’arbre où il avait fixé son domicile existe: « l’arbre de Botquez ».

LES TRENTE SERVICES
Au temps où il était habituel en Cornouaille de faire pour chaque défunt une série de trente services, on se rendait pour la trentième à la chapelle de Saint-Michel en Brasparts.
Cette messe se disait à rebours, et sur l’autel on n’allumait qu’un des cierges. Le prêtre qui allait la dire devait être à la fois très savant, et très hardi. Dès le bas de la montagne, il se déchaussait et gravissait la pente pieds nus car il devait être prêtre « jusqu’à la terre ».
Tous les défunts de l’année se rendaient à cette messe, tous les diables aussi y comparaissaient. Le prêtre montait en brandissant son goupillon, et en faisant de tous côtés de continuelles aspersions, et les âmes défuntes s’empressaient autour de lui pour en recevoir quelques gouttes.
La messe dite, il ouvrait son Agrippa et commençait l’appel des diables, dans le porche.
Ces derniers accouraient et il les faisait défiler devant lui un à un, les obligeait à montrer leurs griffes pour voir si l’âme du défunt à l’intention duquel était célébrée la neuvaine n’était pas tombée en leur possession.
Il les renvoyait ensuite en donnant à chacun une graine de lin car un démon ne se déplace jamais pour rien. S’il commettait une seule omission, il était contraint de livrer en échange sa propre personne.