Les contes et légendes de la baie de Douarnenez

Il s’agit là d’un des endroits les plus prolifiques en légendes de la Cornouaille historique. A tout seigneur, tout honneur, nous commencerons par la légende de la ville d’Ys, une pièce maîtresse du folklore breton.

Ys la ville engloutie
LA VILLE D’YS
Le premier des rois de Cornouaille est sans conteste Gradlon souverain de la ville d’Ys dont voici l’histoire :
Il y a longtemps, très longtemps, le roi Gradlon régnait sur la Cornouaille de petite Bretagne qu’on appelait encore Armorique. C’était un conquérant qui ne souhaitait qu’une chose : agrandir son royaume et s’enrichir encore et toujours.
Un jour, alors qu’il assiégeait une forteresse dans un des royaumes du septentrion, ses marins se mutinèrent et l’abandonnèrent sur place afin de pouvoir retourner au sein de leur famille. Gradlon, seul, se prépara à passer une nuit glaciale en ruminant des pensées sombres de vengeance et de rétorsion tout en se demandant également si le destin continuerait à lui être favorable en lui permettant de s’en sortir.
Un mouvement derrière lui le fit sursauter. Il se retourna brusquement et découvrit la plus belle femme qu’il eût jamais vue. Une beauté sculpturale au teint laiteux illuminé par la lune avec un visage dont la grâce était rehaussée par une abondante chevelure rousse. Une merveille de femme.
— Je suis Morlène, dit-elle, reine des peuples de l’eau, souveraine de toutes les mers et océans jusqu’à l’horizon. Je te connais Gradlon, je te sais courageux et la victoire te sourit souvent. Si je suis venue à toi ce soir, c’est pour te proposer de devenir mon époux en échange de quoi je te donnerai un enfant. Qu’en dis-tu ?
— Je me noierais si je restais à tes côtés puisque je ne respire pas sous l’eau et je préfère vivre en Armorique, répondit Gradlon.
— Par ma magie je peux te faire respirer sous l’eau mais je ne te demande pas de rester à mes côtés. Les peuples de l’eau ne peuvent pas s’attacher comme vous les humains. Donne-moi un enfant et je te donnerai une armée pour récupérer ton trône. Pour te prouver ma bonne volonté à ton égard, je t’offre ce cheval noir comme la nuit et rapide comme le vent. Regarde-le ! Le feu des volcans de sous la mer coule dans ses veines et ressort par ses naseaux. Sa vitesse est telle qu’il galope sur les vagues. Son nom est Morvarc’h.
Le roi Gradlon admira la bête que la reine lui offrait. Il n’hésita pas longtemps et suivit cette dernière jusqu’à son château de cristal sous les eaux. Morlène se donna à lui et lorsqu’elle sut qu’elle était enceinte, elle rendit sa liberté au roi.
— Retourne en Armorique, lui dit-elle. Tu as rempli ta part du contrat, je remplirai donc la mienne. Lorsque tu en auras besoin, tu n’auras qu’à te rendre au bord de la mer la proche et frapper trois coups dans l’eau avec ton épée. Des flots sortiront alors mes régiments qui se mettront à tes ordres. Va maintenant !
Gradlon enfourcha sa monture et se précipita sur les eaux à la poursuite des navires de ses marins mutins. Lorsqu’il parvint à en rattraper un, il passa tout l’équipage au fil de son épée à l’exception du pilote qui tenait la barre du navire et à qui il promit la vie sauve s’il le ramenait en Armorique avant les autres navires.
L’homme ne se le fit pas dire deux fois. Il choisit les vents les plus favorables et dépassa les autres bateaux qui ne se doutèrent de rien. Mais une tempête éclata sans crier gare et éparpilla la flotte. Coincé dans la brume et les nuages, le pilote du bateau sur lequel se trouvait Gradlon ne parvint plus à se repérer et le navire commença à errer sur la mer. Un jour, une brise favorable se leva soudain et poussa enfin le bateau dans la bonne direction en produisant un léger sifflement dans les voiles: « yiiiiiiiiiiiiiiiisssssssssssssssssssssssssss ». Gradlon troublé crut y reconnaître la voix de sa nouvelle épouse qu’il avait du laisser et qui lui manquait.
Revenu chez lui, Gradlon découvrit que ses sujets l’avaient cru mort et que plusieurs prétendants se disputaient son trône. Il se rendit au bord de la mer la plus proche qui était la baie de Douarnenez puis il tira son épée et frappa trois fois la surface de l’eau. Il y eut un bouillonnement. Les flots s’entrouvrirent et plusieurs régiments d’hommes poissons en sortirent. Ils s’alignèrent sur la plage et attendirent les ordres du roi.
Gradlon se lança alors dans une série d’opérations militaires afin de rétablir son autorité. Lorsque ce fut fait, il exécuta tous les prétendants et se fit reconnaître à nouveau comme roi incontesté de Cornouaille. Il donna ensuite des consignes afin que tous les marins qui s’étaient rebellés dans les pays du nord soient arrêtés et pendus sans autre forme de procès. Puis, ayant rendu la liberté à ses armées d’hommes poisson qui rejoignirent l’océan, il s’enferma dans son château.
Peu à peu il se laissa gagner par la mélancolie. Il passait de plus en plus de temps au bord de la mer, les yeux perdus à l’horizon, semblant attendre quelque chose ou quelqu’un.
Un jour, alors que le soleil descendait tranquillement sur la baie de Douarnenez, une jeune fille d’une quinzaine d’années sortit de l’eau juste devant lui. Elle ressemblait beaucoup à Morlène mais en plus jeune. Gradlon resta figé, la bouche bée devant cette apparition.
— Bonjour père, se contenta de dire la jeune fille. Je me nomme Dahut.
— Serais-tu la fille de Morlène ? demanda le roi.
— Et la tienne, répondit l’adolescente. Ma mère, à la fin de sa vie, m’a envoyée vers toi.
— Morlène est morte ?
— Ne sois pas trop triste, son heure était venue. Elle s’est dissoute dans l’océan. M’accepteras-tu à tes côtés maintenant que je n’ai plus que toi ?
Gradlon ne répondit rien mais ouvrit les bras. Dahut s’y précipita.
Le temps passa et Dahut grandit. Elle avait toute la beauté de sa mère mais ses cheveux à elle étaient noirs avec des reflets bleutés. De par sa naissance, elle aimait beaucoup la mer et ne supportait pas d’en être éloignée plus d’une journée. C’est pourquoi son père fit construire une ville fortifiée sur une île de la baie de Douarnenez. Et pour la protéger des tempêtes et des vagues, il la ceintura de plusieurs murailles qui faisaient aussi office de digues lors des grandes marées.
Chacune de ses murailles possédait une seule porte, une énorme porte en bronze qu’une clé en or pouvait ouvrir. Une seule clé pour toutes les portes que le roi Gradlon conservait attachée à son cou par une simple lanière de cuir. Ainsi il était le seul à décider de qui pouvait entrer ou sortir de sa nouvelle ville qu’il appela Ys en souvenir de la brise qui lui avait permis de revenir chez lui !
Ys devint prospère. Les navires marchands de Gradlon parcouraient toutes les mers du globe et en rapportaient des richesses qui faisaient le bonheur des habitants. En outre, Dahut, maîtresse de la ville, avait hérité des pouvoirs magiques de sa mère. Elle offrit à sa cité un dragon chargé de faire naufrager les navires passant au large et d’en ramener les richesses.
Une seule ombre au tableau : la ville n’était pas sûre la nuit. Des jeunes gens disparaissaient régulièrement dont on retrouvait plus tard le corps écrasé au bas des falaises de la baie des Trépassés.
Lorsqu’un jour un témoin se rappela avoir vu une des victimes se promener avec la princesse Dahut à son bras, les habitants d’Ys commencèrent à murmurer.
Une enquête rapide montra que tous les cadavres étaient ceux de jeunes gens ayant cotoyé la princesse peu de temps avant leur mort. Mais le roi ne voulut rien entendre. Un jour, un saint homme du nom de Guénolé se présenta à la cour de Gradlon. Il tenta de convaincre le monarque et sa cour de rejoindre la nouvelle religion du Christ, s’ils voulaient sauver leurs âmes. Il fit beaucoup de miracles et même si le roi préféra reporter la décision de sa conversion, il laissa Guénolé convertir ses sujets et bientôt plus de mille clochers en pierres furent érigés dans tous les coins de la ville d’Ys.
Le diable toujours en train de rôder n’apprécia pas mais alors pas du tout !
Il prit l’apparence d’un jeune homme d’une grande beauté et se fit introduire à la cour de Gradlon. Aussitôt qu’elle le vit, Dahut tomba sous son charme. Elle lui avoua que d’habitude elle faisait tuer les amants qu’elle se choisissait pour une nuit mais que lui était trop beau pour subir le même sort.
Le démon la séduisit et lui demanda une preuve de son amour. Comme la jeune fille ne savait pas quoi lui offrir, le diable lui suggéra de lui remettre l’objet le plus précieux de toute la ville, à savoir cette superbe clé d’or que son père portait en permanence autour de son cou.
Quiconque eut été aux aguets eut vu Dahut entrer tout doucement dans la chambre, pieds nus, et s’approcher peu a peu de son père, se mettre a genoux, et lui enlever chaîne et clé.
Elle se rend alors près de son nouveau fiancé puis la lui remet. Aussitôt, avec un sourire mauvais, ce dernier disparaît dans un nuage de soufre pour réapparaître devant la porte des digues. Il enfonce la clé dans la serrure et ouvre grand les vannes. Toutes les vannes.
Pendant ce temps, le roi continue de dormir. Un grand cri d’effroi monte de la cité : la ville va être submergée. Gradlon s’éveille en sursaut Guénolé est au pied de son lit, affolé.
— Lève-toi seigneur roi, fuyons. La mer vient de rompre ses digues.
Soudain, à la vue du moine, son conseiller et ami, Gradlon se lève. Il cherche sa fille. Elle n’est pas dans sa chambre. Il l’appelle en vain.
Guénolé a vu l’eau qui monte rapidement. Il supplie le roi et l’entraîne aux écuries du château.
Dahut a déjà enfourché le cheval Morvarc’h et cherche à quitter la ville. Gradlon se précipite et s’élance en selle, en retenant la princesse, qui tente d’échapper a ses étreintes paternels. Puis les chevaux emportant le moine, le roi et sa fille, fuient, rapides comme le vent de la panique, les ondes plus rapides encore.
Bientôt, a la vue des vagues qui gagnaient toujours et venaient baigner les jarrets des chevaux, le saint irrité dit au malheureux souverain :
— Seigneur, si tu ne veux pas périr, jette le démon que tu portes en croupe. — Le démon ? reprit le roi, quel démon ?
— Celle-là ! s’écria Guénolé en touchant Dahut du bout de son bâton pastoral.
Et l’infortunée princesse, tombant à la renverse à un endroit appelé depuis Toul-Dahut, disparut dans les flots qui s’arrêtèrent comme satisfaits de leur proie.
Devait-elle mourir ? Non, bien sûr. L’océan reconnut une de ses descendantes et, pour éviter qu’elle ne se noie, transforma la moitié inférieure de son corps en queue de poisson. Et c’est ainsi que Dahut devint la première des femmes-poissons appelées parfois sirènes.
Depuis, la mer ébranle sans frein et sans fin les ruines et les tours de la cité ensevelie.

La ville engloutie d’Ys nourrit depuis ce temps l’imaginaire des Bretons et il n’est pas rare qu’elle réapparaisse au fil d’un récit ou d’un autre comme le montrent ceux qui suivent :

LES MARCHANDS DE LA VILLE D'YS
Une femme, étant descendue a la grève puiser de l’eau pour faire cuire son repas, vit tout a coup surgir devant elle un portique immense.
Elle le franchit et se trouva dans une cité splendide. Les rues étaient bordées de magasins illuminés. Aux devantures s’étalaient des étoffes magnifiques. Elle en avait les yeux éblouis et cheminait, la bouche béante d’admiration, au milieu de toutes ces richesses. Les marchands étaient debout sur le seuil de leur porte. A mesure qu’elle passait près d’eux, ils lui criaient :
— Achetez-nous quelque chose ! Achetez-nous quelque chose !
Elle en était abasourdie, affolée. A la fin, elle répondit à l’un d’eux :
— Comment voulez vous que je vous achète quoi que ce soit ? Je n’ai pas un liard en poche.
— Eh bien ! C’est grand dommage, dit le marchand. En prenant ne fut-ce que pour un sou de marchandise, vous nous eussiez délivrés tous.
A peine eut-il parlé, la ville disparut.
La femme se retrouva seule sur la grève. Elle fut si fort émue de cette aventure qu’elle s’évanouit. Des douaniers qui faisaient leur ronde la transportèrent chez elle. A quinze jours de là, elle mourut.

LA VIEILLE D’Ys
Deux jeunes hommes étaient allés nuitamment couper du goémon, ce qui est sévèrement prohibé, comme chacun sait.
Ils étaient tout occupés a leur besogne, quand une vieille, très vieille, vint a eux. Elle pliait sous un faix de bois mort.
— Jeunes gens, dit elle d’une voix suppliante, vous seriez bien gentils de me porter ce fardeau jusqu’à ma demeure. Ce n’est pas loin, et vous rendriez grand service a une pauvre femme.
— Oh bien ! répondit l’un d’eux, nous avons mieux a faire.
— Sans compter, ajouta l’autre, que tu serais capable de nous dénoncer a la douane.
— Maudits soyez-vous ! s’écria alors la vieille. Si vous m’aviez répondu oui, vous auriez ressuscité la ville d’Ys.
Et, sur ces mots, elle disparut.

LES JARDINS D’Ys
Un patron de barque et son mousse étaient allés tous deux à la pêche. A mi-chemin de la côte aux Sept-Iles, ils jetèrent l’ancre. Il faisait si chaud qu’au bout d’une heure le patron s’endormit.
C’était le moment du reflux. La mer baissa tellement que la barque finit par se retrouver à sec. Grande fut la surprise du mousse en voyant, tout à l’entour, non pas des goémons, mais un champ de petits pois. Il laissa dormir le patron, sauta à terre et se mit à cueillir le plus qu’il put de cosses vertes. Il en emplit la barque.
Quand le patron se réveilla, la mer avait monté. Il fut tout étonné de voir la barque pleine de petits pois et le mousse qui s’en régalait.
— Qu’est ce que cela signifie ? demanda-t-il en se frottant les yeux, persuadé qu’il avait la berlue.
L’enfant conta la chose. Le patron comprit alors qu’ils avaient mouillé dans la banlieue d’Ys, là où les maraîchers de la grande ville avaient autrefois leurs cultures.

LA VILLE D'YS
Des marins de Douarnenez pêchaient une nuit dans la baie, au mouillage. La pêche terminée, ils voulurent lever l’ancre. Mais tous leurs efforts réunis ne purent la ramener. Elle était accrochée quelque part. Pour la dégager, l’un d’eux, hardi plongeur, se laissa couler le long de la chaîne.
Quand il remonta, il dit à ses compagnons :
— Devinez en quoi était engagée notre ancre ?
— Hé ! Parbleu ! Dans quelque roche.
— Non. Dans les barreaux d’une fenêtre.
Les pêcheurs crurent qu’il était devenu fou.
— Oui, poursuivit-il, et cette fenêtre était une fenêtre d’église. Elle était illuminée. La lumière qui venait d’elle éclairait au loin la mer profonde. J’ai regardé par le vitrail. Il y avait foule dans l’église. Beaucoup d’hommes et de femmes avec de riches costumes. Un prêtre se tenait à l’autel. J’ai entendu qu’il demandait un enfant de chœur pour lui répondre la messe.
— Ce n’est pas possible ! s’écrièrent les pêcheurs.
— Je vous le jure sur mon âme !
Il fut convenu qu’on irait conter la chose au recteur.
Ils y allèrent, en effet.
Le recteur dit au marin qui avait plongé :
— Vous avez vu la cathédrale d’Ys. Si vous vous étiez proposé au prêtre pour lui répondre sa messe, la ville d’Ys toute entière serait ressuscitée des flots et la France aurait changé de capitale.

Le roi Marc'h
LA LEGENDE DU ROI MARC'H
Voici venir le deuxième roi du pays, Marc’h aux oreilles de cheval, sans doute un avatar de quelques divinités pré-chrétienne qui a trouvé refuge dans la geste arthurienne, appelée aussi Matière de Bretagne.
Sa place est ici puisque comme vous l’apprendrez à la fin de ce récit, sa tombe est sur un des versants du Menez-Hom.
Tout cela s’est passé il y a bien longtemps. Un roi de la tribu royale du Cheval portait le nom tout à fait approprié de Marc'h. Marc'h signifie, comme vous le savez, cheval en langue bretonne.
Ce roi Marc'h avait son palais à Poulmarc'h, près de Douarnenez. On dit aujourd'hui "Plomarc'h" qui signifie « le coin de Marc’h ». C'est un site de toute beauté, qui mérite votre visite.
Marc'h, roi de Poulmarc'h, possédait un cheval comme jamais on n'en a vu et jamais on en verra plus de semblable en ce bas monde. Rejeton d’Aonbarrh, le cheval qui tirait le chariot du soleil de l’Est à l’Ouest pendant la journée, il faisait des bonds si énormes à travers les landes, par dessus les menez, et d'un bord à l'autre des vallées, que ses sabots ferrés d'argent laissaient toujours des empreintes dans le sol même lorsque le granit affleurait. Il galopait aussi bien sur l'eau que sur la terre ferme et les vagues de la mer en furie ne l'arrêtaient pas. C'est pourquoi le cheval de Marc'h, roi de Poulmarc'h, était appelé Morvarc'h ce qui, vous ne l'ignorez pas si vous avez un peu d'instruction, signifie Cheval Marin.
Et oui, vous l’aurez deviné, il s’agissait du cheval de feu le roi Gradlon dont vous avez déjà entendu parler et que le roi Marc’h avait récupéré on ne sait pas trop comment. Toujours était-il que Marc'h, roi de Poulmarc'h, n'avait pas de plus grand plaisir que de courir le cerf et le sanglier en chevauchant Morvarc'h.
Un jour qu'il était parti avec toute sa cour chasser en forêt de Névez près de Locronan, il aperçut une biche blanche, si belle, qu'il n'avait pas souvenir d'en avoir jamais vue de pareille.
Il s'élança à sa poursuite. La biche blanche bondissait et filait comme le vent. Morvarc'h menait derrière elle un train d'enfer sans parvenir à la rejoindre. L’escorte ne put pas suivre et sans s’en rendre vraiment compte, Marc'h, roi de Poulmarc'h, sur son cheval Morvarc'h se retrouvèrent bientôt seuls.
Coincé dans son monde et derrière la jolie biche blanche, Marc'h, roi de Poulmarc'h, sur son cheval Morvarc'h, galopa d'un bout à l'autre de la forêt de Nevez. A cette époque, ce n’était pas le petit bois qu’il en reste aujourd’hui. Elle s’étendait de Locronan jusqu’au pieds du MenezHom. La biche finit par atteindre le rivage de la baie de Douarnenez.
Ne pouvant aller plus loin à cause de la pleine mer, elle fit un bond prodigieux jusqu'à un rocher isolé au milieu de l’eau. Elle resta là, haletante, tournant vers le chasseur ses grands yeux de velours d'où s'écoula une larme. Le roi Marc'h impitoyable, tira une flèche de son carquois, banda son arc et décocha son trait.
Il se passa alors quelque chose d’étrange. Loin de se résigner, la biche allongea son cou vers la flèche qui fendait l'air, la saisit au vol entre ses dents et la rejeta vers le chasseur. La pointe de fer vint frapper le cheval Morvarc'h au beau milieu du poitrail. L'animal poussa un hennissement de douleur, se cabra, désarçonnant son cavalier et s'effondra sur le sol, roulant et dévalant du haut de la falaise jusque dans les flots.
Le roi Marc’h se releva, écumant de rage devant la perte de son cheval auquel il tenait tant. Il dégaine son poignard de chasse, descend dans la mer et, de l'eau jusqu'aux cuisses, s'avance vers la biche blanche.
— Au secours ! A l'assassin ! s'écrie une voix féminine railleuse.
La biche a disparu, faisant place, sur le rocher, à une jeune fille ravissante, à la chevelure d'or couronnée d'algues, aux yeux verts limpides comme l'onde. Elle porte, suspendue à son cou par une chaîne d'or, une grosse clef rouillée.
Le roi comprend qu'il a affaire à Dahut, la princesse d'Ys qui hante encore les lieux de ses méfaits sous la forme d'une sirène.
— Remercie-moi, Marc'h, roi de Ploumarc'h, lui dit-elle, de t'avoir laissé la vie, alors que tu ne cherchais qu'à prendre la mienne. Mais ta cruauté mérite quand même punition : Morvac’h ton cheval, était un don de ma mère au roi Gradlon mon père. Il est juste qu’il me revienne. Puisque tu y tenais tant, tu porteras désormais sa crinière et ses oreilles.
Puis, avec un grand éclat de rire, Dahut plonge dans la mer et nage jusqu'au cadavre de l'étalon. Elle lui touche la tête du bout de sa baguette magique et voilà qu’il ressuscite, se cabre et s'ébroue. Mais il n'a plus sa longue crinière moire flottant au vent, et ses oreilles sont de ridicules oreilles humaines.
La sirène l’enfourche en amazone. Et, avant de partir au galop sur les crêtes des vagues, elle crie, avec un rire moqueur :
— Le roi Marc'h a les oreilles du cheval Morvarc'h !
Et l'écho répète, avec un rire moqueur : « Le roi Marc'h a les oreilles du cheval Morvarc'h ! ».
Le pauvre souverain porta les mains à sa tête : il avait effectivement les oreilles poilues de son étalon noir et une longue crinière flottante lui pendait jusqu'au milieu du dos.
Il mit son manteau sur sa tête et attendit la nuit pour rentrer, à pied, à Poulmarc'h. Il pénétra dans son palais par une porte dérobée. Pour qu'aucun de ses sujets ne puisse soupçonner sa nouvelle apparence, il cria à travers la porte de sa chambre l'ordre à ses valets de tendre au milieu de la salle du trône un rideau que personne ne devrait franchir, sous peine de mort.
Il se tiendrait derrière ce rideau pour écouter les requêtes et les rapports de ses courtisans et de ses officiers qui demeureraient de l'autre côté. Il ne pouvait cependant conserver son encombrante crinière qui lui tombait plus bas que la ceinture et continuait à s'allonger de jour en jour. Il envoya quérir un coiffeur qui lui ramena cet ornement insolite à de raisonnables proportions. Mais pour que ce coiffeur ne risquât pas d'aller raconter ce qu'il avait vu, il lui trancha la gorge dès qu'il eut donné le dernier coup de ciseau.
Une semaine plus tard, les crins avaient repoussé. Il fit venir un autre coiffeur et, son travail fait, l'occit comme le premier pour être assuré de son silence.
Les semaines se succédèrent et la même scène régulièrement, se répétait. Une bonne vingtaine de maîtres coiffeurs, garçons coiffeurs et apprentis coiffeurs passèrent ainsi de vie à trépas, tant et si bien qu'il n'en resta qu’un dans tout le royaume.
Un seul ! Yeunig le propre coiffeur du roi avant qu’il ne le congédie suite aux évènements que l’on sait. Marc'h l'aimait bien et la pensée de devoir lui couper le cou lui était très désagréable. Mais la crinière s'allongeait, s'allongeait, descendait jusqu'à terre et commençait à traîner dans la poussière. Son poids occasionnait au roi de violentes migraines. Il ne pouvait plus y tenir et finit par se résoudre à envoyer chercher Yeunig.
— Fidamdoué ! s'écria celui-ci en découvrant le prodige capillaire donc était affligé son souverain et les oreilles noires et velues qui lui étaient poussées. Quel méchant enchanteur a donc jeté un sort à votre Majesté ? Que n'avez-vous fait appel à moi plus tôt. Je possède des ciseaux enchantés qui m'ont été remis par un korrigan à qui j'avais rendu quelques services. Les cheveux... ou les crinières coupés avec ces ciseaux ne repoussent jamais plus.
— Yeunig, tu es mon sauveur ! Coupe-moi vite cette tignasse, avec tes ciseaux magiques.
— Votre Majesté me promet-elle de me laisser la vie ?
— Mais bien sûr, cher Yeunig, évidemment. Jure-moi seulement que tu ne confieras à personne, quoi qu'il arrive, que j'ai les oreilles de mon ancien cheval Morvarc'h.
Yeunig jura. Il coupa la crinière avec ses ciseaux enchantés et plus jamais la crinière ne repoussa. L'opinion publique, cependant, au royaume du roi Marc'h, était fort intriguée. Quel secret pouvait détenir le perruquier yeunig qui était si grave qu'il avait coûté la vie à vingt autres perruquiers ? Qu'avait il vu de l'autre côté du rideau que nul n'était admis à franchir ? Le premier ministre, très solennel et les sourcils en broussaille, vint lui représenter qu'il était de l'intérêt vital de la nation qu'il confiât tout ce qu'il savait. Il refusa de répondre. Le chef de la police lui laissa entendre que s'il s'obstinait à faire des cachotteries, il pourrait lui arriver des ennuis. Mais il ne flancha pas et refusa de répondre. De grands seigneurs lui offrirent des sommes fabuleuses s'il consentait à leur dire dans le creux de l'oreille le secret qu'il détenait. Il refusa de répondre. Les plus jolies princesses de la cour vinrent en minaudant et en lui faisant les yeux doux le supplier de satisfaire leur curiosité. Il refusa de répondre.
Mais son secret l'oppressait de plus en plus. Les mots « Marc'h a des oreilles de cheval » lui démangeait la langue. Il lui fallait faire un effort considérable, de plus en plus considérable, pour les retenir. S'il avait pu les crier, ne serait-ce qu'une seule fois, il se serait senti délivré. Mais il ne voulait même pas le faire au fond des bois, car les feuilles des arbres auraient pu les répéter ; il ne voulait pas le faire au bord de la mer, car les vagues auraient pu les redire ; il ne voulait pas même le faire au sommet du solitaire et chauve Menez-Hom, car le vent aurait pu les emporter avec lui.
Un jour, n'y tenant plus, il s'en fut jusqu'à la plage de la Palud et creusa dans le sable un trou profond mais pas plus large que sa tête. Il y enfouit son visage et hurla :
— Le roi Marc'h a les oreilles du cheval Morvarc'h !
Puis il s'empressa de reboucher le trou avec du sable qu'il tassa soigneusement. Alors il soupira d'aise. Il se sentait soulagé. Il prêta l'oreille : ni le vent soufflant sur la dune, ni la houle qui déferlait sur la plage ne répétaient son secret. Il n'avait pas été entendu. La paix sauvage, la paix d'éternité de l'infertile grève n'avait pas été troublée. Par la suite, trois roseaux poussèrent à l'endroit même où Yeunig, le coiffeur du roi, avait enfoui son trop lourd secret.
Un jour vint où Marc'h, roi de Poulmarc'h, maria sa soeur, la douce Bleunwenn, au roi de Léon, Rivalen. Sa dignité exigeait, bien sûr, qu'à cette occasion il donnât des fêtes magnifiques et y conviât tous les rois, reines, princes et princesses d'Armorique. Mais le problème pour lui était d'accueillir convenablement ses hôtes sans leur montrer pour autant ses oreilles de cheval. Le brave Yeunig lui entortilla la tête dans une écharpe et lui conseilla de raconter qu'il souffrait d'une otite, ce qui lui permettrait en outre de ne faire que de brèves apparitions aux cérémonies et de se retirer très vite sous la tente qu'il s'était fait dresser près de l'aire à danser.
On avait fait venir pour la noce les meilleurs sonneurs de bombarde et de biniou de tout le pays breton. Malheureusement, ces talentueux artistes, assoiffés et affamés comme tous sonneurs qui se respectent, s'étaient précipités, dès leur arrivée au palais, la veille du mariage, sur tout ce qui pouvait se manger ou se boire et avait l'infortune de se trouver à leur portée. Ils n'avaient pas respecté les petites provisions préparées comme tous les soirs sur les coins de table, dans la cheminée et à l'entrée de l'écurie, à l'intention des korrigans familiers. Ceux-ci, en arrivant vers minuit pour balayer les grandes salles du palais et faire la toilette des chevaux, furent très dépités de ne trouver ni crêpes beurrées, ni lard à se mettre sous la dent, non plus que la moindre goutte de lait ribot, de cidre ou d'hydromel pour s'humecter le gosier. Ils résolurent de se venger. Oh ! Sans méchanceté, car ils étaient seulement espiègles. Ils n'imaginèrent rien de mieux que de subtiliser les anches de tous les binious et de toutes les bombardes.
On imagine l'affolement, lorsque les sonneurs voulurent accorder leurs instruments avant de donner la branle aux premières gavottes. On chercha dans tous les coins les anches disparues et lorsqu'on eut définitivement perdu tout espoir de remettre la main dessus, on courut de tous côtés à la recherche de quelque chose avec quoi on pourrait en confectionner de nouvelles. C'est alors qu'un jeune garçon du pays, fils de pêcheur, signala qu'il avait remarqué sur la grève de la Palud trois magnifiques roseaux qui s'y prêteraient admirablement. On envoya aussitôt les meilleurs marins de Poulmarc'h sur le meilleur bateau quérir ces trois roseaux. Ils furent bientôt de retour et il y eut de quoi faire des anches pour toutes les bombardes, tous les chalumeaux de binious et tous les bourdons.
Le maître des cérémonies, qui se rongeait d'impatience, donna immédiatement le signal de commencer les danses. Les binious soufflèrent dans leurs outres, les talabarders portèrent leurs bombardes à leurs lèvres et Yao ! En avant la musique !
C'est alors que la stupeur se peignit sur tous les visages des invités de la noce.
Au lieu de sonner, les bombardes et les binious, à l'unisson, clamaient :
— Le roi Marc'h a les oreilles du cheval Morvarc'h ! Tous les regards se tournaient vers la tente où se cachait le roi. Au milieu des murmures et des rires étouffés, la jeune mariée s'avança bravement vers cette tente et demanda :
— Est-ce vrai, mon frère, que vous avez les oreilles du cheval Morvarc'h ? Si c'est la vérité, mieux vaut nous le dire franchement.
On vit alors le roi rouge de honte, sortir en courant, arracher l'écharpe qui dissimulait ses oreilles poilues et s'enfuir en criant :
— Oui, c'est vrai Marc'h a les oreilles du cheval Morvarc'h.
Les gens de Poulmarc'h ne surent jamais ce qu'il était devenu. Il ne pouvait plus régner sur eux, maintenant qu'ils connaissaient son secret. Il ne remit jamais les pieds au pays.
S'ils ne savaient pas où leur roi était allé cacher sa honte, moi je le sais. Il avait traversé la mer et s'était réfugié chez son cousin, le roi Arthur, qui régnait en Grande-Bretagne. Arthur l'avait reçu fort courtoisement et s'était empressé d'envoyer quérir son bon conseiller, l'enchanteur Merlin, pour lui demander s'il n'existait pas un moyen de faire recouvrer au ci-devant roi de Poulmarc'h ses oreilles humaines. Merlin se caressa longuement la barbe et répondit qu'il n'était pas en son pouvoir d'annuler un sortilège dont l'auteur était Dahut. Il pouvait toutefois en limiter les effets. Il connaissait la recette d'un philtre qui rendrait à Marc'h son bel aspect d'autrefois tant qu'il se trouverait dans l'île de Bretagne. Mais si jamais il lui prenait la fantaisie de retourner vers les rivages d'Armorique, hantés par Dahut, ce philtre cesserait d'opérer et ses oreilles de cheval repousseraient.
Marc'h se le tint pour dit. Après avoir bu le philtre et retrouvé tout aussitôt son apparence humaine, il décida de s'installer définitivement de ce côté-là de la Manche et obtint de son cousin Arthur la concession d'un royaume dans une péninsule où les paysages et les hommes étaient semblables à ceux de son pays natal. Logiquement, il la baptisa du même nom : Cornouaille mais avec un s à la fin car maintenant il y en avait plusieurs. Il fit construire son château non loin de la côte, à Tintagel, et gouverna avec sagesse et droiture.
Le temps passa. Il eut un jour la douleur d'apprendre que son beau-frère, Rivalen, roi de Léon, avait été tué dans une rude guerre contre un certain duc Morgan. Sa soeur, Bleunwenn, en était morte de chagrin, après avoir donné le jour à un fils. Et le duc Morgan s'était emparé du pays de Léon. Quant au bébé, nul ne savait ce qu'il était devenu.
Quelque 18 ans plus tard, un beau garçon échoua sur la côte de Cornouailles, après avoir été prisonnier des pirates et leur avoir faussé compagnie à la nage. Il avait de bonnes manières, il jouait de la harpe à ravir, au combat il valait bien cinq guerriers des plus valeureux.
Le roi Marc'h l'accueillit en son palais et s'attacha à lui comme s'il avait été son propre fils.
Le jeune homme ignorait sa propre identité. Il savait seulement son nom, Tristan, mais ne pouvait dire où il était né, ni quels étaient ses parents.
Mais un jour débarqua à Tintagel un noble seigneur de petite Bretagne, nommé Talhouc'h, qui allait de port en port à la recherche de son fils adoptif enlevé par des pirates. On lui dit qu'il y avait au palais un jouvenceau dont on ne savait rien, si ce n'est qu'il avait échappé à des pirates et qu'il se nommait Tristan. Talhouc'h ne fit qu'un bond jusqu'au palais et reçut Tristan dans ses bras. Quand leurs effusions furent terminées, il expliqua au roi Marc'h :
— Celui-ci est Tristan de Léon, votre neveu, fils de votre soeur Bleunwen et du roi Rivalen. Votre soeur me l'a confié, encore au berceau, pour que je le cache du duc Morgan. Je l'ai élevé comme mon fils et en ai fait un chevalier accompli.
— Voici une révélation que j'ai grande joie à entendre, dit le roi. Je comprends maintenant pourquoi j'ai éprouvé tout de suite tant d'affection pour lui. C'était le sang qui parlait. A ma mort, c'est lui qui me succédera, il en est digne. Il n'y a pas de guerrier plus intrépide ni d'artiste plus habile. C'est aussi un inventeur, un des trois maîtres ès mécaniques de l'île de Bretagne. Et l'un des trois têtus qu'on ne peut jamais faire changer de résolution. Je serai heureux de lui laisser mon royaume.
Il associa dorénavant Tristan à toutes ses décisions. Il l'autorisa à porter sur son casque un diadème d'or. Il lui remit une épée de l'acier le plus dur qui portait le nom d'Arwoul, la très forte. Il lui fit confectionner un bouclier sur lequel on voyait, en relief, un sanglier.
Par malheur, en Cornouailles comme partout ailleurs dans le monde, dès que quelqu'un parvient à s'élever, même et surtout si c'est par ses mérites, il suscite la jalousie des malchanceux et des médiocres.
Tristan n'échappa pas à cette loi commune. Un petit groupe de seigneurs jaloux s'en vint trouver le roi Marc'h pour lui représenter qu'il était grand temps qu'il prit pour femme une fille de roi afin d'en avoir de légitimes héritiers. Marc'h, qui ne se souciait pas d'avoir d'autre héritier que son beau neveu, voulut les berner. Avisant sur sa fenêtre un long cheveu de femme, fin comme la soie et brillant comme un rayon de soleil, que venait de laisser tomber une hirondelle qui tissait son nid. Il s'en saisit et déclara :
— Pour vous complaire, seigneurs, je prendrai femme, pourvu que vous m'alliez quérir celle que j'ai choisie.
— Sur notre foi, nous irons. Qui est donc celle que Votre Majesté a choisie.
— J'ai choisi celle à qui fut ce cheveu d'or et je n'en veux point d'autre.
— Dites-nous à qui fut ce cheveu d'or et en quel pays elle se trouve et nous partirons aussitôt la quérir.
— Et bien, c'est un cheveu de la Belle aux cheveux d'or et l'hirondelle qui me l'a apporté sait en quel pays elle se trouve.
Les seigneurs comprirent qu'il se moquait d'eux et regardèrent haineusement Tristan qui se trouvait là, près de lui. Mais Tristan avait reconnu le cheveu d'or : il ne pouvait appartenir qu'a la princesse Yseult, une princesse d'Irlande dont il avait fait la connaissance après avoir tué en combat singulier un monstre irlandais redoutable, le Morholt, le propre oncle de la jeune fille.
Tristan savait que les Irlandais, avides de venger la mort du Morholt, avaient mis sa tête à prix. Mais comme il ne voulait pas être soupçonné de n'aimer son oncle que par ambition, il déclara :
— Je sais où est la Belle aux cheveux d'or. Sa quête sera pour moi périlleuse, mais je veux faire taire les médisances. Je la ramènerai à Tintagel ou je laisserai ma vie dans l'expédition.
Il aurait mieux valu pour le roi Marc'h comme pour lui qu'il ne fit jamais cette proposition. Il partit sur le champ quérir la belle Yseult et il n'en résulta que de grands malheurs. Mais ceci est une autre histoire. Une histoire que la plupart d'entre nous connaissent déjà.
Ce que l'histoire de Tristan et Yseult ne dit pas, c'est ce qu'il advint du roi Marc'h après la mort tragique de son neveu et de son épouse. Mais ici, en Brasse-Bretagne, nous le savons. Il était tellement ulcéré par le chagrin que la seule vue des lieux auxquels était attaché le souvenir des deux jeunes gens lui était devenue odieuse. Il voulait rompre avec ce passé douloureux. Il abandonna brusquement son château, sa couronne, ses sujets et traversa la mer pour retourner en terre d'Armorique. Lorsqu'il débarqua, ses oreilles de cheval avaient repoussé, mais il n'y attachait plus d'importance. Il regagna son palais de Poulmarc'h qui, depuis le temps qu'il l'avait quitté, était envahi par les ronces et à-demi écroulé. Après s’être fait reconnaître il le fit rebâtir et reprit le gouvernement du pays. Mais il était aigri et se montrait tyrannique et dur.
Quiconque esquissait seulement un sourire en regardant ses oreilles de cheval avait aussitôt la tête tranchée. Pour oublier tous ses malheurs, il s'adonnait à la boisson et à toutes sortes d'orgies.
Mais il avait aussi ses bons côtés. Il lui arrivait de distribuer ses richesses aux pauvres. Il avait aussi une dévotion toute particulière à sainte Marie, à qui il avait fait construire une jolie chapelle au flanc du Menez-Hom.
Quand il mourut, d'avoir bu trop d'hydromel, le bon Dieu parla de l'envoyer en enfer. Mais Madame sainte Marie protesta et prit sa défense. Son fidèle serviteur ne pouvait être damné.
— Soit, concéda le bon Dieu, ton roi Marc'h n'ira pas brûler en enfer, mais son âme devra demeurer dans la tombe jusqu'à ce que cette tombe soit assez haute pour que, de son sommet, le roi Marc'h puisse voir le clocher de ta chapelle.
Or le roi Marc'h avait été enterré sur le Menez-Hom, comme il convenait à sa dignité royale, mais sur le versant opposé à celui où s'élevait la chapelle Sainte-Marie. Entre le sanctuaire et sa tombe il y avait un grand dôme de lande.
Alors, la sainte Vierge descendit sur la terre, mit une grosse pierre dans les plis de sa robe et se dirigea vers la sépulture du roi Marc'h, à un moment où un mendiant passait par là. Le mendiant lui demanda l'aumône.
— Volontiers, répondit-elle, si auparavant vous faites comme moi. Ramassez une de ces grosses pierres qui sont là, dans la lande, et venez la déposer sur la tombe où je vais poser la mienne.
Le mendiant obéit et reçut en récompense une belle pièce d'or brillante.
— Merci, ma bonne Dame, dit-il ; vous êtes aussi généreuse que l'était de son vivant le roi Marc'h, Dieu lui pardonne !
— Vous aimiez bien le roi Marc'h ?
— Pour sûr ! Il était compatissant aux gens de mon état.
— Alors, vous pouvez sauver son âme. La tombe où nous venons de déposer des pierres est la sienne. Quand vous passerez par là, ne manquez pas de refaire la même chose.
— Je vous le promets.
— Et dites à toutes les personnes de votre connaissance qui ont l'occasion de voyager à travers le Menez de faire de même. Quand le tas de pierre sera assez haut pour que l'âme du roi puisse contempler le clocher de la chapelle qui est de l'autre côté, cette âme montera au paradis.
Bien des siècles ont passé depuis et les Bretons n'ont pas cessé, lorsqu'ils cheminent sur le versant nord du Menez-Hom, d'aller déposer leurs cailloux sur la tombe du roi Marc'h, qu'on appelle le Bern Mein. Si vous passez un jour par là, vous qui me lisez, n'oubliez pas de faire vous aussi ce geste de piété.
L’attribut physique des oreilles de cheval peut évoquer le roi Midas de la mythologie grecque, mais l’analogie s'arrête là.
Dans la tradition bretonne, Marc'h est un roi légendaire d'Armorique dont l'originalité est d'avoir des oreilles de cheval. Il est également comme roi de la Cornouailles britannique un des protagonistes de la légende de ,Tristan et Iseult ancrée dans la réalité historique bretonne et celtique, entre les îles Britanniques et la Bretagne armoricaine. Selon l'historien Léon Fleuriot, spécialiste de la fin de l'empire romain en péninsule armoricaine, Marc'h peut être assimilé à Komonor (Cunomorus), roi historique de Cornouailles britannique au VI ème siècle, régnant à la fois sur les deux Domnonées : la Domnonée armoricaine et la Domnonée (Cornouailles-Devon) de l' île de Bretagne. Ainsi dans son ouvrage : « Les Origines de la Bretagne » (page 189), il écrit : « Il (Comonor) est présenté souvent comme un vassal de Childebert, un "praefectus", dit la Chronique de saint Brieuc :
"Comorus tyrannus, praefectus Francorum regis". Comonor paraît avoir été un Britto-Romain. La Vie de saint Paul l’appelle le "roi Marc" ou le "princeps Marc" ou de son nom complet "Marcus Quonomorius". »

L'écrivain Jean Markale a repris cette assimilation au roi Cumunorus.

Le mur du diable
LE MUR DU DIABLE
(Châteaulin)
Autours de Châteaulin, sur les communes de Lothey, Gouézec, Briec, Quéméneven et Cast se rencontrent parfois des pans d’un mur de pierres sèches. Haut d’environ 1m20, il était appelé le « mur du diable » par les gens du pays.
Un jour en effet le seigneur de Châteaulin décida de construire un mur autour d’un parc qui lui appartenait afin d’en faire une réserve de chasse qu’il pourrait montrer au Duc de Bretagne lors de sa prochaine visite.
Il se voyait déjà, devisant gaiement avec son suzerain tout en poursuivant un cerf mais son grand argentier vint malheureusement lui annoncer que les caisses étaient vides et qu’il ne pouvait se permettre une telle extravagance.
— Par le diable ! s’écria-t-il, je veux ce mur dussé-je y laisser mon âme ! À peine eut-il prononcé ces paroles que Satan apparut, tout en cornes et puant le souffre à une lieue.
— Tu m’as appelé, me voici ! se contenta-t-il de dire. Tu auras ton mur, je le construirai en une nuit, en échange d’une toute petite signature avec ton sang en bas de ce parchemin.
Le seigneur ne prit même pas la peine de lire le document. Il s’entailla la main et, trempant une plume dans son sang qui coulait, signa, pensant que le démon n’aurait pas le temps de le terminer et qu’il n’aurait lui qu’à le faire achever.
Mais lorsque la nuit vint, le diable apparut sur la motte de Châteaulin. Il fendit la terre avec ses sabots et en fit sortir des milliers de petits êtres noirs et poilus qui se mirent aussitôt à l’ouvrage.
Le seigneur de Châteaulin réalisa qu’il encourait la damnation éternelle pour un simple mur de pierres sèches. Il décida d’aller réveiller le curé de sa paroisse et de tout lui raconter. Ce dernier s’empara d’un goupillon et d’une gourde d’eau bénite puis alla en asperger les dernières pierres qui étaient destinées à finir le mur. Le diable, ne pouvant les utiliser, comprit qu’il avait été dupé et disparut dans un cri de rage après avoir fait s’écrouler son œuvre.

L'HOMME-CHEVAL
(Châteaulin)
Il y avait autrefois, aux environs de Châteaulin, un fort joli manoir, appelé le château de Kermac'hek qui n'existe plus depuis bien longtemps. Ce manoir était habité par une noble dame qui était veuve et n'avait qu'un fils. Malheureusement, une méchante fée avait condamné cet unique enfant à être métamorphosé en cheval jusqu'au jour où certaines circonstances auraient lieu.
Quand Yves de Kermac'hek (ou plutôt le cheval dans la peau duquel il était) vit arriver sa vingtième année, il dit un soir à sa mère qu'il voulait se marier, et la pria de lui trouver une femme. La pauvre dame fut bien en peine à cette nouvelle, car, hélas ! quelle jeune fille consentirait à s'unir à un cheval? Elle ne dormit pas de la nuit, mais, quand vint le petit jour, une idée lui vint aussi. Non loin du château habitait un meunier qui avait trois filles et qui lui devait plusieurs années de location. Elle résolut d'aller le trouver. Elle se rendit donc au moulin et fit part de ses projets au meunier. Celui-ci résista d'abord, mais comme il réfléchit que si le mariage se faisait, cela pourrait le libérer de ses dettes, il n'osa refuser, et il fut convenu, que le lendemain matin, il enverrait l'aînée de ses filles au château pour blanchir du linge. Le lendemain la jeune fille s'y rendit, et comme elle était à laver au bord de l'étang, elle vit arriver un beau monsieur, bien habillé, ayant la mine d'un vrai seigneur, qui se mit à causer avec elle. Au bout d'un peu de temps, il lui dit :
— Il paraît, d'après ce qu'on m'a raconté, que vous devez vous marier avec le fils du château.
— Moi, répondit-elle, me marier avec un cheval ! J'aimerais mieux mourir !
Yves de Kermac'hek, car c'était lui, poussa un cri sauvage et, redevenant cheval, se rua sur la jeune fille et la tua. Il pouvait à certains moments redevenir homme, mais personne ne devait le savoir, si ce n'est celle qui l'épouserait. Après l'avoir tuée, il alla raconter à sa mère ce qui était arrivé, et lui dit de lui trouver une autre jeune fille qui voulût bien se marier avec lui.
La pauvre femme se désola, mais comme elle savait que son fils ne renoncerait pas à son projet, elle calma les ressentiments du pauvre meunier en le libérant de ses dettes, puis elle se mit à chercher une autre fiancée pour son fils.
Mais la nouvelle de la mort de la première s'était répandue, et partout on refusa ses propositions. Comme elle ne trouvait nulle part une bru et que son fils la pressait de jour en jour davantage, elle se décida à risquer une autre tentative auprès du meunier. Elle se rendit donc au moulin ; le meunier refusa d'abord sa proposition, mais comme elle lui promit une forte somme d'argent si le mariage se faisait, il finit par consentir, et le lendemain, la seconde de ses filles alla au château pour achever le blanchissage. Les choses se passèrent comme pour l'aînée : Yves de Kermac'hek vint la voir sous sa forme humaine, lui fit la même demande, et comme elle répondit dans le même sens que sa soeur, il la tua pareillement.
Voilà la pauvre mère encore plus contrariée qu'avant, d'autant plus que son fils, bien loin de renoncer à ses projets de mariage, la pressait de plus en plus de lui trouver une femme.
Elle eut beau lui en chercher une dans toute la Bretagne et même en France, aucune ne voulait épouser un cheval. Alors pensant que le meunier, auquel elle avait donné une grosse somme d'argent, était un peu calmé, elle lui fit demander sa troisième fille. Cette fois, le meunier refusa nettement; une seconde fois, elle le fit encore prier, même refus; une troisième fois elle ne fut pas plus avancée. Enfin, comme elle lui fit proposer de lui donner le moulin s'il consentait à tenter l'aventure, il se laissa fléchir, et envoya Gaïdic, sa dernière fille, achever le lavage que ses aînées avaient commencé. Comme les deux autres fois Yves de Kermac'hek vint la voir au milieu de son travail, et quand il lui demanda si elle consentirait à épouser le fils du château malgré sa métamorphose, Gaïdic lui répondit que oui.
Aussitôt, il se jeta à ses pieds, et lui dit :
— Écoute, Gaïdic, c'est moi qui suis l'homme-cheval. La nuit, et parfois à certains moments, pendant le jour, je reprends une forme naturelle. Puisque tu le veux bien, nous nous épouserons ; mais personne ne doit savoir que je puis redevenir homme. Jure-moi de ne le répéter à âme qui vive.
— Je te le jure, dit-elle.
Là-dessus, la jeune fille regagna le château, tandis qu'Yves de Kermac'hek, redevenant cheval, partit en galopant annoncer la bonne nouvelle à sa mère. Celle-ci fut bien joyeuse et accueillit Gaïdic avec empressement.
La noce se fit tout à fait simplement et il n'y eut d'autre fête qu'un repas de famille.
Les parents de l'Homme-Cheval firent l'accueil le plus charmant à Gaïdic et elle vécut dès lors au château, ayant à souhait tout ce qu'elle désirait. Son mari demeurait jour et nuit dans une tour, en une partie retirée du château. Sa femme allait lui porter à manger ; pendant la journée; cela l'attristait dé voir que son époux était un cheval, mais elle était bien heureuse, lorsqu'elle allait le visiter la nuit, de le voir revenu sous sa forme naturelle, car alors il était d'une grande beauté.
Au bout de quelques mois, Gaïdic devint enceinte et, à quelques jours de là, ses parents qu'elle n'était pas retournée voir depuis son mariage, voulant réunir chez eux quelques amis, comme c'était souvent la coutume du pays, l'invitèrent pour faire l'honneur de sa présence à la compagnie.
Elle s'y rendit, et comme elle était la fille du meunier et que toutes les commères qui se trouvaient là l'avaient connue toute petite, elles étaient hardies avec elle, et la voyant enceinte, elles lui demandèrent comment il se faisait qu'étant mariée à un cheval elle fût devenue dans cet état; elle refusa d'abord de leur dire, mais pressée de questions, elle finit par leur avouer que son mari n'était pas toujours cheval.
Le soir, quand de retour au château elle fut porter à manger à son mari, celui-ci avait l'air profondément affligé.
— Qu'as-tu à être triste? lui dit-elle.
— Hélas ! lui répondit-il, j'ai bien sujet d'être triste, car dès demain, il me faudra te quitter !..
Et comme elle ouvrait des yeux étonnés, il continua :
— Oui, Gaïdic, quand je t'avais fait jurer de ne jamais répéter que j'étais cheval seulement le jour, c'était parce que du moment où le secret serait dévoilé, je redeviendrais homme pour toujours, mais je ne devais pas te prévenir de cela, et d'autre part, du jour où tu trahirais le secret je devrais te quitter. Ce jour est arrivé.
— Mais, je t'assure, dit Gaïdic, je n'ai rien dit...
— Ne mens pas, lui répondit-il, je sais fort bien que tu as trahi le secret : au moment même où tu as parlé j'en ai été averti, et j'en ai ressenti une secousse dans mon coeur.
Gaïdic se mit à pleurer; Yves, de son côté pleurait aussi, car s'il était heureux de voir sa métamorphose cesser, il lui en coûtait dé quitter son épouse, et ils passèrent la nuit à se lamenter.
Au matin, avant de partir, Yves remit à Gaïdic trois noix, eh lui disant de les casser l'une après l'autre, quand élite se trouverait avoir besoin de secours, puis il l'embrassa une dernière fois et disparut.
Gaïdic, en pleurant, alla raconter à sa belle mère ce qui s'était passé. La dame, soupira en se demandant où son fils avait bien pu se rendre puis consola de son mieux sa belle-fille, mais Gaïdic ne pouvait se faire à l'idée du départ de son mari, elle restait enfermée toute la journée, et languissait de jour en jour davantage.
Quelques mois après, elle mit au monde un fils qui était beau comme le jour, mais bien qu'elle aimât beaucoup cet enfant, elle pensait toujours à Yves, et sitôt après ses relevailles, elle laissa son garçon à la garde de sa belle-mère, et partit pour courir le monde à la recherche de son époux, sans oublier d'emporter les trois noix qu'il lui avait remises avant de la quitter.
Tant qu'elle put marcher, elle marcha, mais, vers la fin du jour, comme elle ne savait où passer la nuit et qu'elle mourait de faim et de fatigue; elle se dirigea vers un château qu'elle apercevait au loin.
Quand elle arriva devant la porte, le gardien lui demanda ce qu'elle voulait. Elle répondit en lui demandant à son tour si on n'avait pas besoin d'une servante. Le portier lui répondit que, justement, il fallait une femme de basse-cour, et qu'il allait eh parler à la dame du château.
Celle-ci fit venir Gaïdic et la prit à son service. Il y avait déjà quelque temps qu'elle y était lorsqu'un jour elle vit se promenant dans le parc avec la fille dû châtelain, devinez qui? Son mari Yves de Kermac'hek !
Elle demanda aux autres domestiques quel était ce jeune seigneur. On lui répondit qu'il était arrivé depuis plusieurs mois, et qu'il devait épouser avant peu la demoiselle du château. Quand Gaïdic apprit cela, elle n'eut plus qu'une pensée se procurer une entrevue avec son mari et lui apprendre qu'elle était là.
Le lendemain, elle ne savait comment faire et était bien embarrassée lorsqu'elle se souvint des trois voix. Elle en cassa donc une pendant qu'elle gardait ses poules dans la prairie située devant le château; aussitôt se dressa devant elle une belle boutique remplie de magnifiques étoffes et de robes des plus riches couleurs.
En faisant sa promenade habituelle, la demoiselle du château fut bien étonnée de voir la fille de basse cour tenir une aussi belle boutique; elle regarda les magnifiques vêtements et résolut d'en acheter quelques-uns. Elle s'informa du prix, mais Gaïdic lui répondit qu'ils n'étaient pas à vendre, mais qu'elle les lui donnerait si elle consentait à la laisser passer une nuit dans la chambre de son fiancé.
La demoiselle refusa d'abord, mais comme Gaïdic lui répondait qu'elle ne lui donnerait ses étoffes qu'à cette condition, elle finit par consentir.
Le soir même, elle lui ouvrit la porte de la chambre de son fiancé, niais celui-ci dormait profondément, car elle avait eu soin de mêler à sa boisson de la poudre qui faisait dormir. En vain Gaïdic secoua son mari, il ne se réveilla pas.
Le lendemain, pomme elle gardait encore ses poules à la même place, elle cassa une autre poix. Cette fois, ce fut une boutique pleine d'argenterie qui se dressa devant elle. La demoiselle vint également voir les belles choses qu'elle avait, et pensant que cela lui servirait pour son mariage, elle voulait les acheter; mais Gaïdic lui fit les mêmes conditions que pour les étoffes. En songeant à la poudre qui fait dormir, l'autre accepta aisément, et la pauvre fille de basse-cour passa vainement cette seconde nuit dans la chambre de son mari sans pouvoir le réveiller.
Le lendemain, comme elle se désolait, il lui vint à l'idée de tenter une troisième fois la chance, et elle cassa sa dernière noix. Cette fois ce fut un étalage de bagues d'or, de bijoux et de diamants qui lui apparut; la jeune châtelaine voulut les acheter, mais Gaïdic lui ayant fait les mêmes conditions que les autres fois, elle accepta enfin en pensant toujours à la poudre qui endort. Mais cette fois elle fut déçue. Le valet d'Yves de Kermac'hek, qui avait deviné ce qui se passait, dit à son maître :
— Savez-vous que, depuis deux nuits la fille de basse-cour couche dans votre chambre ?
— Tu rêves, ce n'est pas vrai.
— Je vous assure que si, mais la demoiselle du château, pour que vous ne le sachiez pas, verse chaque soir de la poudre à faire dormir dans votre bol et vous vous endormez aussitôt; mais, si vous voulez, ce soir, comme la fille de basse-cour doit venir, quand votre fiancée vous apportera à boire, faites semblant d'avaler la boisson, jetez-la derrière le lit et faites mine de dormir.
Yves de Kermac'hek suivit ce conseil.
La demoiselle, croyant qu'il avait bu ce qui était dans le bol et qu'il dormait bien fort, le laissa avec la fille de basse-cour. Dès que Gaïdic fut seule avec son époux, elle commença à lui parler. Yves, surpris, cherchait en vain où il avait pu déjà entendre cette voix. Tout à coup il se souvint :
— Gaïdic! dit-il...
— Mon Yves bien-aimé, lui répondit-elle en tombant dans ses bras.
Ils passèrent la nuit à se raconter ce qui leur été arrivé depuis leur séparation. Yves fut bien heureux d'apprendre la naissance de son fils, et, résolu de retourner vivre avec sa femme au manoir de Kermac'hek il alla, le lendemain matin, trouver celle qui aurait du être sa belle-mère.
— Madame, lui dit-il, en arrivant ici j'ai acheté une nouvelle clef pour la serrure de mon armoire, et voici que je viens de retrouver l'ancienne. Je voudrais avoir votre avis pour savoir laquelle je dois mettre en réserve.
Elle lui répondit que si l'ancienne allait bien, il fallait la garder, et mettre la nouvelle en réserve pour le cas où il viendrait à la reperdre.
— Alors, Madame, lui répondit-il, je regrette beaucoup de vous le dire, mais j'ai retrouvé mon ancienne femme et, d'après vos conseils, je la garde et je laisse votre fille en réserve.
La dame fut bien contrariée, mais elle ne pouvait se dédire de l'avis qu'elle avait donné.
Yves de Kermac'hek fit alors prévenir sa mère, qui envoya aussitôt un beau carrosse doré pour le chercher; elle fut heureuse de retrouver son fils et sa belle-fille, qui de leur côté furent bien joyeux de la revoir et surtout de revoir leur propre fils.
On célébra leur retour par de grandes fêtes où tout le monde, jusqu'aux pauvres du pays, fut invité, et Yves de Kermac'hek et sa femme vécurent heureux en compagnie de leur fils jusqu'à la fin de leurs jours.

LA DAME BLANCHE DE PONT-GUEN
(Quemeneven)
La route allant du bourg a la gare du Quéménéven traverse le Steir, une petite rivière qui termine a Quimper son cheminement dans les vallons. Jadis, ce Pont-Guen n’avait pas de muretins. Et nombreux étaient les passants, qui les nuits obscures, tombaient dans le Steir.
La croyance populaire plaçait au fond de la rivière l’existence d’une Dame Blanche qui, se saisissant de ces malchanceux, les maintenait sous l’eau jusqu’à complète noyade.
Cette Dame Blanche, anaon d'une jeune fille étranglée par son fiancé parce qu'elle refusait de céder à ses avances avant de passer devant le curé, ne cherchait qu'à se venger des vivants.
Un soir cependant, il se trouva un homme assez brave pour oser prendre son arbalète et se rendre au Pont-Guen dans le but de tuer la trop fameuse Dame Blanche. Lorsque la nuit tomba, la Dame Blanche sortit comme d’habitude des eaux de la rivière. Mais elle avait un aspect si terrible que l’homme laissa choir son arme et prit la fuite a toutes jambes.
Hélas, il ne put aller bien loin. La Dame Blanche s’était emparée aussitôt de l’arbalète tombée et, d’un carreau bien placé, elle clouait le malheureux sur le bord du chemin.
La croix élevée près du pont marqua cette mort et en Christianisant ce lieu chassa de Pont-Guen la maléfique dame des eaux.

LE MARQUIS DE PONTLEZ
(Quemeneven)
Sur la route, entre Quéménéven et Cast, on rencontrait, il y a encore vingt ans, un petit manoir et un moulin à eau. Le manoir est devenu une ferme sans caractère et le moulin une résidence au goût d’aujourd’hui. Le lieu se nomme Pontlez et la légende de son ancien marquis est venue jusqu’à nous.
Ce mauvais homme de noblesse avait accumulé tant de méfaits que le procureur de Chateaulin se décida enfin à intervenir. Mais quand il fallut le sommer de comparaître, tout les huissiers déclinèrent cette mission : « Nous avons femmes et enfants et nous ne tenons pas à être jetés en nourriture aux brochets de l’étang ».
Pourtant l’affaire tenta un robin qui accepta de remettre la sommation au terrible marquis. Sous l’habit d’un chemineau, il entra au manoir et prit place devant la cheminée de la cuisine. Alors, il se mit à raconter des histoires si plaisantes que bientôt les rires des domestiques attirèrent le maître.
Le marquis était joyeux drille à ses heures. Il prit un escabeau aux côtés de l’huissier et l’invita à trinquer. Tout en vidant son verre, le gaillard glissa sa sommation sous le torchon enveloppant le pain.
— Monsieur le marquis, j’ai laissé un pli pour vous sur la table de la cuisine. Adieu !
Et tournant les talons, il s’en fut à toutes jambes. Intrigué, le seigneur de Pontlez saisit le papier.
— Ah !s’écria-t-il, il a cru me berner, mais je vais le guérir de ce jeu.
Décrochant son arquebuse, il visa la silhouette du pauvre huissier qui s’en allait et l’étendit mort sur le chemin. Bientôt pourtant, le dernier mot resta à la justice. Le marquis dut indemniser largement la famille de sa victime et élever a l’endroit ou elle était tombée, une croix qui s’y voit encore. De plus, il eut à choisir entre un pèlerinage en terre sainte ou la décapitation sur la place de Châteaulin.
Comme on le pense, le seigneur de Pontlez préféra la première solution. Bien des années après, un soir de lune, un journalier du manoir aperçut un cheval buvant dans le ruisseau de Pontlez, tandis que son cavalier en armure demeurait immobile : « On dirait notre Marquis et son cheval blanc ! » Et il s’avança vers son maître pour lui tenir l’étrier.
Mais ce geste suffit à rompre l’équilibre et le cavalier s’effondra sur le sol avec un bruit de ferraille et d’ossements. C’était non pas le marquis vivant, mais son squelette ramené de Palestine par le cheval fidèle qui avait voulu procurer à son maître une digne sépulture dans son église de Quéménéven.
Par la suite, de nombreuses personnes, en franchissant la nuit le pont du moulin, rencontraient le fantôme du Marquis.
Soucieux de la paix de ses paroissiens, le recteur de Quéménéven décida de conjurer le « revenant ».
Pour cela, il passa sept nuits consécutives à se battre avec lui et lorsqu’il rentra le dimanche matin à l’église, sa soutane n’était plus que des haillons, et son corps avait maigri dans la bataille.
Depuis, chaque fois que le prêtre passait sur le pont, il voyait le trépassé soulever la tête hors de l’eau.
— Monsieur le Marquis, disait le recteur, donnez moi donc un peu de feu pour ma pipe.
Alors il touchait le nez brûlant du fantôme du bout de son bâton qui s’enflammait aussitôt telle une grande allumette.

LES KORRIGANS
(Plonevez-Porzay)
Ces petits êtres sont présents dans le pays au même titre que dans le reste de la Bretagne. Ils ne sont pas à confondre avec les lutins appelés ici follets ou teuz.
Les korrigans, même s’ils font partie du petit peuple, vivent en tribus autour d’un chef sous les collines, les dolmens et les menhirs. Leur mode de vie est rural contrairement aux lutins qui sont solitaires et privilégient les habitations des hommes. Particularité du pays des trois rois et de la Cornouaille : les fées n’existent pas, mais comme les korrigans peuvent changer de taille, ce sont les korriganes qui jouent leur rôle dans les différentes légendes.
Selon René-François Le Men, le célèbre folkloriste breton, ils sont appelés Corrandoun ou Corrandon autour de Douarnenez, Courils à Plonevez-Porzay. Ils sont la transition entre l’homme et les êtres surnaturels. Comme lui, ils naissent et meurent sur la terre où ils vivent en société sous l’autorité d’un chef unique. Ils ont la même forme que les hommes mais ressemblent à une caricature. Le corps des korrigans, d’un pied de haut (soit 33 centimètres) est noir comme le charbon, très petit et mal fait. Leur tête est énorme et leur force semble sans limite. Ils redoutent le froid et ne sortent pas pendant l’hiver. Leurs maisons ressemblent à des terriers mais avec des meubles à leur échelle et toujours d’une grande propreté.
Ils disposent également de pouvoirs occultes : ils peuvent se rendre invisibles, comprennent le langage du vent et des oiseaux qui leur rapportent tous les secrets que les hommes se disent.
Ils peuvent aussi lancer des sorts et des enchantements. Au cap de la chèvre, ils sont parvenus à enfermer les géants qui terrorisaient la région.
A Tresmalaouen près de Plonevez-Porzay, se trouvent encore les ruines d’un de leur palais. On les rencontrait au clair de la lune, sautant autour des pierres consacrées ou des monuments druidiques. S’ils parvenaient à attirer un passant dans leurs rondes effrénées, ils le laissaient au petit matin, exténué, presque mort de fatigue au sens propre.
Fanch était un sonneur réputé dans tout le pays des trois rois. Il se réfugiait volontiers dans la musique car la Nature l’avait fait disgracieux. Au milieu de son dos, une bosse le déformait, mais lorsqu’il sonnait du biniou plus personne ne songeait à se moquer de lui.
Il mettait donc beaucoup d’application dans son art et était très demandé lors des mariages ou des pardons. Tout le monde l’aimait bien Fanch.
Une nuit qu’il revenait vers Locronan en traversant la lande, il aperçut des korrigans en train de faire la ronde près d’un dolmen. Les petits êtres ne cessaient de répéter la même rengaine : « lundi, mardi, mercredi …».
Leur air était si entraînant que Fanch sortit son biniou et se mit à les accompagner en musique.
Les korrigans l’entourèrent et se mirent à danser avec lui, l’entraînant dans leur folle farandole.
Fanch s’y prêta de bonne grâce, mais ne put tenir le rythme bien logtemps.
« A…attendez, supplia-t-il.
— Tu dois danser, Fanch, tu dois danser ! répétaient les korrigans.
— Mais…mais…votre chanson n’est pas finie…dit Fanch espérant ainsi gagner un répit.
Les korrigans s’arrêtèrent et le fixèrent, attendant visiblement quelque chose. Fanch avait compris qu’il fallait agir car lorsque les korrigans étaient déçus ou s’estimaient floués, ils pouvaient devenir très méchants. Mû par une inspiration soudaine, il fredonna : « jeudi, vendredi, samedi… » Les korrigans sautèrent de joie et se remirent à danser de plus belle, mais cette fois, ils laissèrent Fanch se reposer. Après un moment, celui qui semblait être le roi, s’approcha du sonneur bossu.
— Notre chanson a gagné un couplet grâce à toi, Fanch le sonneur, nous te sommes redevables et nous allons te faire un cadeau !
Le korrigan siffla un coup bref et tous les petits êtres vinrent se saisir de Fanch. Puis ils se l’envoyèrent comme s’il n’avait été qu’une grosse balle. Lorsqu’ils le reposèrent, sa bosse avait disparu.
— Voilà pour toi ! reprit le roi ainsi que cette bourse qui semble vide mais lorsque toi seul y glisseras la main, tu pourras toujours en sortir une pièce d’or. Rentre chez toi maintenant et encore merci !
Fanch ne se fit pas prié. Il revint chez lui au grand étonnement de ses voisins le lendemain lorsqu’ils découvrirent qu’il n’avait plus sa bosse. Il y eut alors une fête au cours de laquelle Soizic la cousine de Fanch s’enquit de ce qui s’était passé et le répéta à son mari, Ronan.
Mais ce dernier, tailleur de son état, était cupide et, après avoir compris qu’il ne pourrait pas se servir de la bourse de Fanch, il décida de parcourir la lande à son tour jusqu’à ce qu’il retrouve les korrigans et termine leur chanson.
Ce ne fut pas long. La nuit suivante, il les rencontra à l’endroit où Fanch les avait déjà vus et, de manière très impolie, s’invita à son tour dans leur farandole. « Lundi, mardi, mercredi jeudi, vendredi, samedi… » répétaient-ils en se tenant par la main et en regardant Ronan avec des yeux soupçonneux. Au moment où les korrigans le laissèrent finirent la chanson, il s’écria : « Dimanche et la semaine est finie ! »
— Notre chanson a gagné un couplet grâce à toi, Ronan le tailleur, dit le chef des korrigans. Nous te sommes redevables et nous allons te faire un cadeau !
Le korrigan siffla un coup bref et tous les petits êtres vinrent se saisir de Ronan. Puis ils se l’envoyèrent comme s’il n’avait été qu’une grosse balle. Ronan se laissa faire car il pensait savoir ce qui allait se passer.
Mais avec les korrigans, personne n’est jamais au bout de ses surprises. Et lorsqu’ils redéposèrent Ronan, ce dernier réalisa qu’en fait de cadeau, il avait récupéré la bosse de Fanch !
Le tailleur entra dans une violente colère et se mit à insulter les petits êtres qui se déchaînèrent alors contre lui et le poursuivirent jusque dans sa maison. Ronan parvint à s’y réfugier, mais les korrigans s’acharnèrent tellement sur les murs et le toit qu’au petit matin, il n’en resta plus que des ruines.
Fanch quant à lui devint riche et trouva facilement à se marier maintenant qu’il n’avait plus sa bosse.

Ys la ville engloutie
TRISTAN ET YSEULT
(Douarnenez)
Les deux amants les plus célèbres des légendes celtes sont liés au paysage du pays des trois rois car l’île qui se trouve en face de Douarnenez et que l’on dit être les derniers vestiges de la ville d’Ys, s’appelle l’île Tristan.
Rivalen, roi de Loonois a épousé Bleunwenn (nom breton signifiant « Blanche-Fleur »), la sœur de Marc’h, roi de Cornouaille en Armorique dont nous avons déjà fait la connaissance.
Il confie sa femme à son maréchal Rouhault. Plus tard, Rivalen se fait tuer par son ennemi, Morgan, lors d'un guet-apens, avant la naissance de Tristan. Il faut noter que Blanchefleur, la mère de Tristan, meurt peu après l'accouchement.
Tristan, appelé ainsi à cause des circonstances tragiques de sa naissance, est alors recueilli chez son oncle, le roi Marc, et y réside pendant plusieurs années.
Ce dernier devait s’acquitter du paiement d’un tribut auprès du roi d’Irlande suite à une guerre perdue.
Quelques années plus tard, Tristan décide d’en finir avec cette coutume et quand il arrive dans l’île, il doit combattre le géant Morholt, le beau-frère du roi. Tristan reçoit un coup d’épée empoisonnée, mais il blesse mortellement le géant qui, dans un dernier souffle, lui indique que seule Yseult, la fille du roi, a le pouvoir de neutraliser le poison.
La jeune fille guérit Tristan de ses maux sans qu’elle sache qu’il a tué son oncle Morholt. Une fois rétabli, il reprend la mer et retourne près de son oncle.
Marc’h souhaite que son neveu lui succède à la tête de la Cornouaille, mais des seigneurs s’y opposent, préférant une succession directe. Le roi décrète qu’il épousera celle à qui appartient le cheveu d’or, déposé le matin même par un oiseau.
Tristan se souvient d’Yseult et suggère une ambassade auprès du roi d’Irlande. À peine débarqué, surgit un terrible dragon qu’il doit combattre et occire non sans avoir été blessé. Pour la seconde fois, il est soigné par la fille du roi. Yseult voit que l’épée du chevalier porte une marque qui correspond à un morceau de fer, retrouvé dans le crâne de Morholt ; elle comprend que c’est Tristan qui a tué son oncle, mais renonce à toute idée de vengeance. Il s’acquitte de sa mission et le père accepte que sa fille épouse le roi de Cornouaille, ce qui est une manière d’effacer les différends entre les deux royaumes. Yseult éprouve quelque ressentiment du peu d’intérêt que lui manifeste Tristan, mais s’embarque pour la Bretagne.
La reine d’Irlande remet un philtre magique à Brangien, la servante d’Yseult qui est du voyage. Il est destiné aux nouveaux mariés le soir de leur nuit de noces. La puissance du philtre est telle qu’après absorption, les amants sont éternellement épris et heureux, et qu’une séparation leur serait insupportable, voire fatale.
Durant la navigation entre l’île et le continent, par une chaude soirée de la Saint-Jean, croyant se désaltérer avec de l’eau, Tristan boit du breuvage magique et en offre à Yseult. L’effet est instantané.
En dépit de ce nouvel amour indéfectible, la jeune fille épouse le roi Marc’h, mais le soir des noces, c’est la servante Brangien (la servante irremplaçable, vraie magicienne) qui prend place dans le lit du roi car elle est toujours vierge, ce qui n’est pas le cas d’Yseult, laquelle va se glisser dans les draps de son mari (qui lui aussi a bu le philtre et est donc amoureux aveugle) au petit matin après avoir passé la nuit dans les bras de Tristan.
Après de multiples péripéties, les amants prennent la fuite et se réfugient dans la forêt sombre et impénétrable du Morrois, fuyant toute âme qui vive. Au bout de trois ans, comme l’avait décidé la reine d’Irlande, mère d’Yseult, la magie du philtre s’éteint le jour de la SaintJean. Après un long temps de recherche, le roi les surprend endormis dans la grotte qui les abrite, l’épée de Tristan plantée dans le sol entre eux deux. Le roi pense qu’il s’agit d’un signe de chasteté et respecte la pureté de leurs sentiments.
Il remplace l’épée par la sienne, met son anneau au doigt d’Yseult et s’en va. Au réveil, ils comprennent que le roi les a épargnés et leur a pardonné. Le charme ayant cessé d’agir, ils conviennent à « grande douleur » de se séparer, Yseult retourne près du roi Marc’h. Mais si après trois ans ils ne s’aiment plus de manière magique, ils continuent cependant à s’aimer de manière « humaine » avec maintenant le venin de la jalousie qu’ils n’avaient pas connu avant.
Le roi Marc’h reprend sa femme en grand honneur mais bannit néanmoins Tristan à cause de la jalousie de certains de ses barons. Après avoir longuement hésité Tristan s’en va dans l’île de Bretagne où il finit par épouser Yseult aux mains blanches, dont la beauté et le nom lui rappelle celle d’Yseult la blonde.
Son occupation principale est la guerre et lors d’une expédition, il est gravement blessé. Une fois de plus, seule Yseult la Blonde peut le sauver. Il la fait réclamer en convenant que le bateau revienne avec une voile blanche si elle accepte de le secourir. Yseult arrive alors dans un vaisseau à la voile blanche, mais l’épouse de Tristan, Yseult aux Blanches Mains qu’il n’a jamais « honorée », malheureuse de jalousie, lui annonce que la voile est noire.
Se croyant abandonné par celle qu’il aime, il se laisse mourir (ou se tue d’un coup d’épée). Yseult la blonde, arrivée près du corps de Tristan, meurt à son tour de chagrin. Le roi Marc’h prend la mer, ramène les corps des amants et les fait inhumer en Cornouaille, l’un près de l’autre. Une ronce pousse et relie leurs tombes. D’autres disent que c’est un rosier qui fleurit sur la tombe d’Yseult et une vigne qui orna celle de Tristan, et tant ils sont liés l’un à l’autre que quiconque ne sut et ne saura les séparer.

LA MERE QUI PLEURAIT TROP SON FILS
(Dineault)
Grida Lenn avait un fils unique qu’elle adorait. Son rêve était d’en faire un prêtre. À ce dessein, elle l’avait envoyé étudier au petit séminaire de Pont-Croix. Tous les dimanches, pour l’aller voir, elle faisait le trajet de Dinéault à Pont-Croix, qui est bien d’une dizaine de lieues. Un jour qu’elle débarquait de voiture à la porte du collège, on lui apprit que Noëlik (c’était le nom de ce fils tant aimé) était tombé très malade et que le médecin désespérait de le sauver. Grida devint blanche comme une feuille de papier. Trois jours et trois nuits, elle veilla au chevet de son enfant, sans vouloir prendre aucune nourriture. Il mourut. Grida emmena son cadavre à Dinéault, dans sa propre voiture qu’elle conduisit elle-même. Elle lui fit faire, dans le cimetière, une belle tombe de pierre polie, avec beaucoup d’écriture dessus. Et, à partir de ce moment, elle passa presque tout son temps, agenouillée sur cette tombe, à pleurer, à sangloter, à supplier Dieu de lui rendre son fils, son pauvre cher fils.
Les prêtres de la paroisse essayèrent de calmer sa douleur. Mais leurs efforts réunis demeurèrent impuissants. On avait beau la sermonner, lui remontrer que c’est blasphémer contre les morts que de ne se résigner pas à leur perte, rien n’y faisait.
On crut dans le pays qu’elle en deviendrait innocente.
Parfois, en effet, au milieu de ses sanglots, elle se mettait à chanter, à fredonner les berceuses avec lesquelles elle endormait Noëlik naguère, lorsqu’il était un tout petit enfant.
À la fin le recteur la prit à part et lui dit :
— Écoutez, Grida : cela ne peut pas durer de la sorte. Vous réclamez votre fils à cor et à cris. Eh bien ! répondez-moi : auriez-vous le courage de supporter sa vue, si vous vous retrouviez avec lui face à face ?
— Oh ! monsieur le recteur, s’écria Grida dont les yeux brillèrent, si vous pouviez seulement m’obtenir de le revoir, ne fût-ce qu’un instant !…
— Je vous l’obtiendrai. Mais, à votre tour, promettez-moi que vous vous comporterez ensuite comme une vraie chrétienne, comme une chrétienne résignée à la volonté de Dieu.
— Je promets tout ce que vous voudrez !
Vous pensez bien que le recteur de Dinéault savait ce qu’il faisait.
Il donna rendez-vous à sa paroissienne dans le cimetière, sur la tombe du jeune clerc, au premier coup de minuit.
— Un mot encore, ajouta-t-il. Non seulement vous verrez votre fils, mais vous pourrez même lui parler, et il vous parlera. Jurez-moi dès à présent que, quoi qu’il exige de vous, vous vous y soumettrez de point en point.
— Je le jure par les sept douleurs de la Vierge-Mère !
Avant le premier coup de minuit, Grida était au rendez-vous. Elle y trouva le recteur, qui lisait dans son livre noir, à la clarté de la lune. L’heure sonna. Le prêtre ferma son livre, fit le signe de la croix, et appela par trois fois Noëlik Lenn. Au troisième appel, la tombe s’entr’ouvrit : Noëlik apparut, debout. Il était tel que de son vivant, si ce n’est que sa figure était toute triste et que sa peau était couleur de la terre.
— Voici votre fils, Grida, dit le recteur.
Grida s’était prosternée, pour attendre, derrière un genêt qu’elle avait fait planter au pied de la tombe. À la voix du prêtre, elle se releva et alla vers son fils lui tendant les bras. Mais il l’écarta du geste.
— Ma mère, prononça-t-il, nous ne devons plus nous embrasser, avant le jour du dernier jugement.
Il se pencha pour cueillir une branche à la touffe de genêt.
— Quoi que j’exige de vous, vous avez juré de vous y soumettre.
— C’est vrai, j’ai juré, répondit Grida.
— Prenez donc cette branche de genêt et fouettez-moi de toutes vos forces.
La pauvre femme se recula, suffoquée d’étonnement et aussi d’indignation.
— Te fouetter, moi !… Fouetter mon fils, mon Noëlik tant aimé ! Ah ! non, par exemple, jamais !!!
Le mort reprit :
— C’est parce que vous m’avez trop aimé autrefois, c’est parce que vous ne m’avez jamais fouetté, qu’il faut que vous le fassiez maintenant. Je ne serai sauvé qu’à ce prix.
— S’il le faut pour ton salut, soit ! dit Grida Lenn.
Elle se mit à le fouetter, mais si doucement qu’elle effleurait à peine le cadavre.
— Plus fort ! plus fort ! cria celui-ci.
Elle frappa plus rudement.
— Plus fort ! plus fort encore ! ou je suis perdu, perdu à tout jamais ! criait toujours Noëlik.
Elle frappa avec emportement, avec fureur. Le sang jaillissait du corps de son fils. Mais toujours Noëlik criait :
— Hardi ! ma mère ! Encore donc ! Encore !
Sur ces entrefaites, les douze coups de minuit achevèrent de sonner à l’horloge de la tour.
— C’est fini, pour ce soir, dit le mort à Grida, mais si vous tenez à moi, vous reviendrez demain à la même heure.
Et il disparut dans la tombe qui se referma sur lui.
Grida s’en retourna chez elle, en compagnie du recteur. Pendant le trajet, celui-ci demanda :
— N’avez-vous rien remarqué de particulier ?
— Si, dit-elle. Il m’a semblé que le corps de Noëlik devenait plus blanc, à mesure que je le battais davantage.
— C’est bien cela, dit le recteur.
Il ajouta :
— Maintenant que je vous ai mise en rapport avec votre fils, vous pouvez vous passer de mon ministère. Tâchez seulement d’avoir la force d’aller jusqu’au bout.
Donc, le lendemain, Grida Lenn se rendit seule au tombeau du clerc. Les choses se passèrent exactement comme la veille, sauf que la mère ne se fit plus prier pour fouetter son enfant, et qu’elle fouetta, fouetta, jusqu’à n’en pouvoir plus.
— Ce n’est pas encore assez, lui dit Noëlik, lorsque le douzième coup sonna. Il faudra que vous reveniez une troisième fois.
Elle revint.
— Surtout, ma mère, supplia le jeune homme, allez-y cette fois de tout votre cœur et de toutes vos forces !
Elle se mit à le battre avec tant d’acharnement que la sueur tombait d’elle comme une pluie d’orage et que le sang jaillissait du corps de Noëlik comme l’eau jaillit d’une pomme d’arrosoir.
À la fin, sentant son bras se raidir et l’haleine lui manquer, elle cria :
— Je n’en puis plus, mon pauvre enfant ! Je n’en puis plus !
— Si ! Si ! Encore ! Mère, je vous en conjure ! disait la voix de son enfant, et cela avec un tel accent d’angoisse que Grida retrouva une seconde d’énergie.
Malgré ses tempes qui bourdonnaient, malgré ses jambes qui fléchissaient sous elle, elle fit un effort suprême.
Mais aussitôt elle tomba à la renverse.
Grâce à Dieu, son dernier effort avait suffi.
Couchée sur le dos dans l’herbe du cimetière, elle vit le corps de son fils, devenu blanc comme neige, s’élever doucement dans le ciel, comme une colombe qui prend son vol.
Quand il fut à quelque hauteur au-dessus d’elle, il lui dit :
— Ma mère, en m’aimant trop pendant ma vie, en me pleurant trop après ma mort, vous aviez retardé ma béatitude éternelle. Il fallait, pour que je fusse sauvé, que vous fissiez sortir de moi autant de gouttes de sang que vous aviez versé sur moi de larmes. Désormais, nous sommes quittes. Merci !
Sur ce mot, il s’évanouit dans l’air.
À partir de cette nuit, Grida Lenn ne pleura plus. Elle avait compris que son fils était mieux là où il était qu’il ne l’aurait jamais été sur terre.
(Conté par un vieux sonneur de biniou (Ar zoner coz). Dinéault, 1887.)

LA QUITTANCE
(Dineault)
Jean Gomper était un fermier de Dinéault. Homme très entendu, il n’avait jamais manqué de payer régulièrement son terme.
La dernière fois qu’il alla payer (c’était, je crois, à Châteaulin) il ne trouva pas le propriétaire à la maison. Mais, comme son fils était là, Jean Gomper lui remit tout de même l’argent : « J’aurai occasion de voir votre père à la prochaine foire. Vous lui demanderez de m’apporter alors ma quittance. »
— A votre gré, répondit le fils.
Et Jean Gomper rentra chez lui, l’esprit tranquille. Étant probe lui-même, il ne doutait pas de la probité d’autrui. En quoi il eut tort, cette fois du moins. Car, deux jours plus tard, il apprenait la mort de son propriétaire, et la semaine n’était pas finie qu’un homme se présentait de la part du fils pour réclamer le terme.
— Mais, je l’ai payé, s’écria Jean Gomper. Le fils le sait bien. C’est à lui que j’ai remis l’argent.
— En ce cas, faites voir votre quittance, répondit l’homme. Je suis chargé de liquider la succession. Je dois faire mon métier.
Jean Gomper voulut raconter comme s’étaient passées les choses.
— Ta, ta, ta ! reprit le « sergent », montrez-moi votre papier, si vous en avez un. On ne me paie pas avec des paroles.
Naturellement, Jean Gomper ne put pas montrer de papier.
— Si dans le courant de la semaine qui vient, dit l’homme d’affaires en sortant, vous ne m’avez pas fait tenir, en mon cabinet, la somme de trois cents écus, je mets immédiatement saisie sur vos biens, meubles et immeubles.
C'était la ruine, la misère noire pour Jean Gomper et pour les siens.
— Comment écarter ce malheur de notre tête ? hurlait-il.
Et, de désespoir, il arrachait ses cheveux à pleines poignées.
— Dieu n’est pas juste ! Non, Dieu n’est pas juste !
— Commence donc par t’adresser à lui, lui fit observer sa femme. A ta place, j’irais de ce pas trouver le recteur. Je suis sûre qu’il te donnerait un bon conseil.
— Avec un bon conseil on n’a jamais fait trois cents écus, grogna Jean Gomper.
Il n’en suivit pas moins l’avis de sa ménagère. Le voilà donc de se rendre au presbytère de Dinéault. Le recteur était en train de souper. Mais c’était un brave homme de prêtre qui n’aimait pas à faire attendre les gens. Jean Gomper fut introduit dans la salle à manger. Là, il exposa son cas, du mieux qu’il put, non sans émailler son récit de plusieurs jurons. Mais le recteur ne fit attention qu’au fond de l’affaire, et, lorsque le paysan eut fini de parler :
— Vous ne mentez pas, Jean Gomper ? dit-il. Il est bien vrai que vous avez payé le fermage qu’on vous réclame ?
— Aussi vrai que je suis le mari légitime de Barba Goff et le légitime père de ses quatre enfants !
— Alors il n’y a qu’une chose à faire : c’est d’aller trouver votre propriétaire, là où il est, et de lui demander, après sa mort, la quittance qu’il ne vous a pas remise de son vivant.
— Hem ! fit Jean Gomper, je ne sais seulement pas quel chemin il faudrait prendre.
— Je vous l’enseignerai, moi.
— Je vous entends bien, Monsieur le recteur, repartit le fermier qui croyait à une plaisanterie de la part du prêtre. L’aller n’est pas difficile, mais il n’en est pas de même du retour.
— Je me charge du second comme du premier.
— Parlez-vous sérieusement ?
— Sachez, Jean Gomper, qu’un prêtre ne plaisante jamais sur ces choses-là. Le curé avait dit cela d’un ton grave. Le paysan se mit à tourner son chapeau entre ses mains, et murmura, tout décontenancé :
— J’irai où il vous plaira de m’envoyer, Monsieur le recteur.
Le recteur ouvrit la porte d’une chambre obscure, en disant :
— Je vais d’abord m’en informer moi-même.
— Pourvu que ce soit en paradis, pensait Jean Gomper, mais cela m’étonnerait fort. Mon gueux de propriétaire ne doit pas être logé à si bonne enseigne.
Le recteur s’était enfermé à double tour. Le fermier l’entendit marmonner à mi-voix, à très vite, très vite.
— Il consulte son Egremont, se dit-il.
L’oraison terminée, le prêtre reparut.
— C’est en enfer qu’il faut que vous alliez, dit-il dès le seuil.
Jean Gomper eut un soubresaut d’épouvante.
— Acceptez-vous ? demanda le recteur.
— A Dieu vat ! répondit notre homme, après une courte hésitation.
Le curé lui imposa les mains, lui traça avec le pouce une croix sur la poitrine, et lui souffla sur le front. Pff !
Jean Gomper était déjà chez le diable. Je vous promets qu’il n’avait pas eu le temps de regarder si c’étaient des landes d’ajoncs ou bien des champs de seigle qui bordaient le chemin.
Avant de l’expédier ainsi, toutefois, le recteur l’avait muni de quelques instructions :
— Vous aurez bien soin, lui avait-il recommandé, de ne prendre ni la première, ni la seconde quittance que vous offrira votre propriétaire. La troisième seulement sera la bonne. Encore ne la prendrez-vous pas de ses mains. Elle vous brûlerait jusqu’aux moelles et vous deviendriez la proie des démons. Vous prierez le damné de la poser à terre, puis vous la ramasserez. Vous serez préservé de la sorte : vous aurez mis la terre entre vous et lui.
Je vous ai dit que Jean Gomper était un homme entendu. Il se donna garde de manquer à quoi que ce fût de ce qu’on lui avait prescrit.
Tout d’abord il se trouva quelque peu dépaysé. Il ne voyait de toutes parts que d’immenses roues de feu qui tournaient, tournaient, tournaient. Cela lui éblouissait les yeux. Puis c’était une insupportable odeur de roussi qui le suffoquait. Il tâcha néanmoins de s’orienter là dedans tant bien que mal.
Au bout d’une heure de marche, il arriva dans une allée le long de laquelle était rangés, de côté et d’autre, des fauteuils de fer chauffés au rouge. Dans ces fauteuils étaient assis des damnés. Leur corps demeurait immobile, mais sur leur figure se succédaient sans interruption les grimaces les plus atroces. C’est parmi eux que Jean Gomper rencontra enfin son propriétaire :
— Comment vous portez-vous ? dit le fermier, en soulevant son chapeau avec politesse.
— Ah ! C’est toi ! Maudit ! s’écria le damné. C’est à cause de toi que je suis ici. Tu viens me réclamer ta quittance, n’est-ce pas ? Misérable, si tu ne t’étais pas dessaisi de ton argent si sottement, ni moi ni mon fils nous n’aurions été tentés !...
Tout en criant ainsi, il avait tiré un papier de sa poche.
— Tiens ! La voilà, ta quittance !
— Pardonnez-moi, mon maître, ce n’est pas celle-là.
— En ce cas, c’est celle-ci, dit le damné, en exhibant une seconde.
— Pas davantage !
— Ah ! Tu m’ennuies, à la fin !
— Essayons de la troisième.
— Prends-la donc, grand nigaud que tu es !
— Avec plaisir. Daignez seulement la poser à terre.
Le damné s’exécuta.
— Merci et bonne chance ! dit Jean Gomper, en ramassant le papier et en le pliant soigneusement.
— Je n’ai que faire de tes remerciements ni de tes souhaits. Veux-tu cependant me rendre un service ?
— Certes oui, à moins qu’il ne s’agisse de me mettre à votre place.
— Tu vois ce fauteuil vide à ma gauche ? Préviens mon fils qu’il lui est réservé, s’il continue à imiter, là-haut, mon exemple.
— Je m’acquitterai de la commission.
Et Jean Gomper de revenir sur ses pas. Une sueur bouillante ruisselait sur ses membres. Tout à coup il sentit un souffle frais lui passer sur la figure, et il se retrouva dans la salle à manger du presbytère de Dinéault.
— Rentrez chez vous, lui dit le recteur. Ne blasphémez plus la justice de Dieu, et vivez toujours en homme de bien.
Le lendemain, Jean Gomper se rendit chez le fils de son propriétaire, à qui il répéta les paroles du damné, puis chez le « sergent » qui ne put que constater que la quittance était valable.
(Conté par Hervé Brélivet, de Dinéault. — Quimper, 1888.)

Le tombeau de saint Ronan
LEGENDE DE SAINT-RONAN, FONDATEUR DE LOCRONAN
La ville tire son nom de Saint Ronan qui serait né en Irlande vers le VIème siècle de notre ère. Loc-ronan, signifiant le lieu de ronan.
Un jour qu’il était en prière, un ange vint le trouver et lui dit :
— Pour t’assurer le Paradis, tu dois quitter ce lieu où te retiennent tes habitudes et aller en Armorique. — Mais comment pourrai-je trouver un bateau ? Il n’y a pas d’arbre pour en construire et je n’ai pas d’argent pour m’en acheter.
— Homme de peu de foi ! Oublies-tu que rien n’est impossible à Dieu ? Si tu n’as pas de bois, prends cette énorme pierre et creuses la !
Alors Ronan traversa la mer sur sa barque de pierre et, se laissant porter par les courants s’échoua sur une des plages de la baie de Douarnenez.
Sa barque de pierre se transforma en une robuste jument qui pouvait porter le bât du saint et l’accompagnait partout.
Il vécut en ermite dans les bois de Nevez en accomplissant toujours plus de miracles. Il commandait aux loups et pouvait leur enjoindre de ne pas prendre les moutons des paysans du coin.
Un jour une méchante femme appelée Keben accusa le saint homme d’avoir étranglé sa fille et de s’être changé en loup afin de pouvoir la dévorer.
L’affaire fut portée devant le célèbre roi Gradlon de la ville d’Ys qui, ne connaissant pas Ronan, décida de lui faire subir l’épreuve des chiens affamés.
Lorsque les deux molosses furent lâchés, ils vinrent docilement se coucher aux pieds du saint homme, ce qui fit admettre à tous qu’il était innocent.
Ronan retourna dans sa forêt mais Keben ne voulut pas s’avouer vaincue aussi dut-il partir à Hillion dans le Penthièvre.
Lorsqu’il mourut, les bœufs de son convoi funèbre prirent la route, guidés par une volonté invisible. Ils traversèrent l’Argoat jusqu’au pays actuel de Locronan.
Lorsqu’elle vit arriver le convoi, Kerben se renseigna pour savoir de qui il s’agissait et quand elle l’apprit, elle se jeta sur les bêtes avec son battoir afin de les battre comme plâtre pour leur faire faire demi-tour. Elle battit tellement un des bœufs que ce dernier en perdit une corne en un endroit nommé depuis « Plas-ar-Horn », le lieu de la corne.
Elle voulut injurier le corps du saint mais la terre s’ouvrit, engloutissant la mégère une bonne fois pour toutes.
Les bœufs continuèrent leur route puis finalement s’arrêtèrent, montrant ainsi l’endroit où le Ciel voulait que le saint homme fut enterré. On construisit par la suite la chapelle de Pénity où fut placé son tombeau.
Il est encore possible de le voir aujourd’hui ainsi que la jument de pierre. Également appelée "garek wenn" (jument blanche), cet énorme rocher était censé être celui sur lequel St Ronan était venu d'Irlande. Les jeunes épouses venaient s'y frotter le ventre dans l'espoir de connaître les joies de la maternité. Les sujets aux maladies nerveuses ne manquaient pas non plus de s'asseoir dans une anfractuosité du roc, sorte de chaise naturelle sculptée par les pluies.

LES 3 CANARDS
Au pied du Menez-Hom se trouve un alignement de trois collines appelées les trois canards et qui a donné son nom à une auberge que l’on peut encore voir aujourd’hui le long de la D887. J’ai longtemps cherché pourquoi les collines avaient été baptisées ainsi. Voici une jolie légende comme tentative d’explication.
Il y a longtemps, très longtemps, à une époque où les vikings faisaient de fréquentes incursions en Bretagne en remontant l’Aulne, vivait un gars nommé Yann dans le village de Plomodiern. Yann était un gaillard solide qui, soucieux de se rendre utile, s’était porté volontaire pour monter la garde au sommet du Menez-Hom et allumer le bûcher qui devait servir de signal à toute la région en cas d’invasion des vikings par la mer.
Mais Yann était un enfant de la lune, ce qui signifiait que la lune avait été pleine lorsque sa mère l’avait accouché et il en conservait une humeur rêveuse et mélancolique qui le conduisait à faire de longues balades sur les plages de la baie de Douarnenez. Lui l’enfant unique aurait bien aimé avoir des frères et sœurs.
Lors de l’une de ses promenades, il remarqua trois canards qui nageaient sur l’eau l’un à côté de l’autre. Les oiseaux semblaient prendre soin l’un de l’autre avec beaucoup d’attention. Yann s’en amusa et s’assit sur un rocher afin de les observer plus à loisir. Puis il sortit un morceau de pain de sa poche qu’il émietta et leur lança.
Ravis de l’aubaine, les trois canards s’approchèrent en cancanant joyeusement. Au lieu de se disputer les morceaux qui flottaient, ils laissèrent ostensiblement le plus gringalet des trois se servir d’abord. Le plus gras se servit en dernier.
« Ça alors, c’est vraiment pas banal ! » pensa Yann. Il remarqua à cet instant une tache blanche que le plus gras des trois palmipèdes avait sur le ventre.
Pris d’amitié pour ses nouveaux amis qui se comportaient entre eux comme des frères, il revint tous les jours pendant plusieurs semaines afin de leur jeter les morceaux de vieux pain qu’il avait pu ramasser de ci de là.
Le printemps et l’été passèrent, puis l’automne arriva avec son mauvais temps. Yann était de garde en haut du Menez-Hom. Il avait plu toute la nuit et la journée s’annonçait fraîche. Le jeune homme avait emmené une bonne bouteille de chouchen pour lui tenir chaud. Il en but plusieurs gorgées et, l’alcool lui montant à la tête, somnola. Puis, jugeant qu’il pouvait se laisser aller, s’endormit.
Il s’éveilla en sursaut, réveillé par un tintamarre infernal. Reprenant ses esprits, il réalisa que trois canards étaient en train de voler autour de lui en lui criant aux oreilles. Il remarqua la tache blanche sur le ventre de l’un d’eux et reconnut les volatiles qu’il avait pris en affection.
Les trois oiseaux étaient paniqués et semblaient vouloir l’avertir de quelque chose. Il regarda à l’horizon et remarqua des voiles carrées en grand nombre qui remontaient l’Aulne. Les vikings !
Yann se précipita sur sa torche et alluma le brasier auprès duquel il montait la garde. Recouvert de suif, le tas de bois s’enflamma d’un coup. Le feu fut aperçu par la garde au sommet de la montagne du feu près de Locronan qui répercuta l’alerte à son tour.
Yann fut remercié pour sa vigilance mais il avoua que sans les trois canards il n’aurait sans doute pas vu les drakkars qui arrivaient. Les trois oiseaux furent honorés à la mesure des services rendus. Ils passèrent le restant de leur vie à être cajolés par les habitants de Plomodiern et lorsqu’ils moururent, il fut décidé que les trois collines au pied du Menez-Hom leur seraient dédiées afin de perpétuer leur souvenir.

St GWENOLE MARCHE SUR LA MER
Un jour Saint Gwénolé était fatigué d'avoir tenté sans succès de convaincre les habitants de la ville d'Ys de se convertir.
Il lui fallait encore rejoindre l'abbaye de Landévennec pour retrouver son lit dans sa cellule de moine. Sachant que Dieu ne tarderait plus à punir la ville, il préférait rentrer plutôt que de rester dans la cité pécheresse.
Cependant le détour à faire pour suivre la côte l'indisposa. Alors il toucha la mer avec son bâton et cette dernière se solidifia. Ainsi put-il traverser la baie de Douarnenez plutôt que de la contourner et rentrer chez lui plus vite.

LA GROTTE DE L'AUTEL
Quand il y a des naufrages dans la baie de Douarnenez, la mer transporte les noyés dans la grotte de l'Autel, près de Morgat, sur la presqu'île de Crozon, appelée ainsi à cause d'une roche en forme d'autel qui s'y trouve en plein milieu.
Leurs âmes y séjournent pendant huit jours avant de partir pour l'autre monde. Celui qui troublerait leur solitude en s'aventurant dans cette grotte durant cette période y périrait de male mort.

LES SAINTS DE PLOMODIERN
Jadis s'étendait une forêt sacrée des abords nord de Quimper jusqu'au pied du Menez-Hom.
Aujourd'hui, les vestiges en sont les bois de Nevez près de Locronan et de Lescuz près de Plomodiern. Elle fut le refuge d'ermites célèbres tels que Saint Renan sur la paroisse actuelle de Locronan, Saint Corentin et Saint Modiern sur la paroisse de Plomodiern. Modiern ou Mordeyrn comme plusieurs autres saints du Ve siècle était fils de roi au pays de Galles, peut-être fils d'Edeyrn...
Il aurait chevauché sur la mer en ne mouillant que les sabots de son cheval golden-maned pour se rendre à l'île aux vingt-mille saints de Bardsey au Pays de Galles et ainsi gagné le titre de 'souverain de la mer'. Il est né à Nantglin, où une chapelle lui fut longtemps consacrée. Devenu moine, il traverse la mer et vient s'établir en baie de Douarnenez où il fonde la paroisse (plo) de Plomodiern. Cependant c'est désormais Saint Mahouarn qui est honoré dans cette localité.

LA FONTENELLE, LE PIRATE DE DOUARNENEZ
Si Morlaix, plus au nord, est réputée pour ses activités corsaires, c'est bien un pirate qui a fait la légende de la ville de Douarnenez. Plus proche de l'histoire contemporaine, Guy Eder de la Fontenelle a répandu la terreur sur les terres finistériennes dans la seconde partie du XVIe siècle, pillant les villes de Carhaix, Châteaulin, Locronan, Douarnenez... En 1595, il s'installe sur l'île Tristan, à l'entrée de Douarnenez, où il loge sa garnison (entre 700 et 800 hommes). Continuant ses pillages, La Fontenelle entasse son trésor sur l'île Tristan des années durant. Capturé puis exécuté au début des années 1600, le pirate laisse derrière lui son trésor et son île.
Si rien n'a été retrouvé jusqu'à lors, la légende raconte que les richesses entassées durant ces années de pillages dormiraient toujours dans les souterrains de l'île. Dans son entêtement, La Fontenelle aurait refuser de céder sa carte de l'île et l'aurait brûlée, empêchant ainsi toute personne de mettre la main sur son butin.
Si des courageux se sentent aujourd'hui l'âme de chercheurs d'or, l'île est accessible quelques jours dans l'année, mais personne, à l'heure actuelle, n'a su faire main basse sur ces richesses.
Enfin, une autre version de la légende raconte que La Fontenelle aurait, pour tromper ses adversaires, enfouit son trésor dans le vallon du Ris, et que l'on retrouverait encore des petites parcelles d'or dans le ruisseau qui coule jusqu'à la plage.

MARY-MORGANS :
Il ne s’agit pas de sirènes car l'appellation renvoit à des êtres anthropomorphes de la tête jusqu’aux pieds. Le terme de Mary-Morgan est de facture récente puisqu’il n’est pas mentionné avant le XIXème siècle. Il dérive du terme Morgan qui, lui est beaucoup plus ancien.
Les Mary-Morgans étaient des femmes aquatiques qui, selon la tradition, habitaient la baie de Douarnenez et ses alentours immédiats. Si elles se laissaient voir, comme pour les sirènes, c'est qu'une tempête était proche.
Vers 1880, la grotte de Morgat dans la presqu’île de Crozon passait pour être un de leurs lieux de résidence. Il s’agissait de femmes que l’on pouvait apercevoir à l’entrée des grottes maritimes ou à l’embouchure des rivières et qui cherchaient à convaincre les jeunes et beaux pêcheurs de les suivre dans leur palais au fond de l’eau.
Ahès la célèbre enchanteresse, lassée du monde des hommes, serait finalement devenue l’une d’entre elles. Selon Anatole Le Braz, elle apparut à deux jeunes matelots partis pêcher, sortant de l'eau vêtue de ses longs cheveux noirs coiffés en une natte enroulée tout autour de son corps.

LÉGENDE DE SAINTE ANNE LA PALUD
Anne était une princesse bretonne maltraitée par son brutal de mari et qui vivait aux abords de la baie de Douarnenez. Un jour, n'en pouvant plus et craignant pour sa vie, elle décida de s'enfuir par la mer où une barque avec un ange l'attendait.
Elle abordera finalement là-bas, très loin, jusqu'aux rivages de Judée où elle rencontrera un homme appelé Joachim, qu'elle épousera et dont elle aura une fille: Marie.
Tenaillée par la nostalgie de son pays natal, elle voulut le revoir avant de mourir. A la mort de son mari Joachim, la même barque avec le même ange la reconduisent chez elle à l’extrémité de la pointe armoricaine.
Quelques temps avant sa passion, son petit fils Jésus, vint lui rendre visite. Sur la prière de sa grand-mère, il fit jaillir une source qui guérirait à jamais tous les habitants de la région de tous leurs maux.
Après la mort d'Anne, des pêcheurs virent une statue à son effigie flotter sur les eaux des marais locaux (palud). Ils tentèrent de la transporter au village, mais la statue se fit tellement lourde qu'ils s'affaissèrent sous son poids à l'endroit même où Jésus avait fait jaillir une source. Une chapelle fut construite pour l'abriter et lui rendre grâce tandis que l'endroit prenait le nom de Saint Anne La Palud.

LA CHAPELLE DE PLUMINIAU
On racontait près de Douarnenez qu'un jour un jeune homme avait été jeté à la mer par son oncle, un vieux baron qui convoitait sa fortune. Mais un miracle fit geler l'eau au alors qu'on était au fort de l'été. La glace se couvrit de verdure, et le jeune seigneur s'avançant sur la pelouse aborda, sans mouiller sa chaussure, au rocher désert de Pluminiau, où il bâtit une chapelle à la Vierge et où il passa six années.

LA FONTAINE SAINT PIERRE LE PAUVRE
Les femmes de Tréboul près de Douarnenez dont les maris étaient en mer venaient s'agenouiller devant la fontaine Saint Pierre le Pauvre pour demander que la pêche soit fructueuse.

Le jugement premier
LE JUGEMENT PREMIER
En Cornouaille, chaque défunt passe en jugement devant son ange gardien trois jours après son trépas. C'est un jugement intermédiaire en attendant le Jugement Dernier. Ceux qui se noient en baie de Douarnenez doivent attendre ces trois jours dans la grotte marine de l'autel près de Morgat.

LA LEGENDE DU KADOR
A Morgat, la côte s’incurve au sud de la grève et forme « Beg ar Gador », le Cap de la Chaise. Vu de la Mer, les rochers paraissent, en effet, y former un gigantesque siège. C'était là dit-on que le géant Kawr venait s'asseoir pour surveiller la baie de Douarnenez et essayer de repérer ses ennemis: les korrigans.
A l'extrémité de ces rochers, une arche était dénommée « la Porte ».
La légende veut qu ‘elle n’ait point existé de tous temps, mais qu’un jour, des pêcheurs, en danger de heurter les récifs, aient eu recours à Sainte Marine : Beg ar Gador s’ouvrit alors pour leur livrer passage. Hélas, cette arche s’est effondrée en avril 1983.

CULTE AUX ANCÊTRES PROTECTEURS
Le chanoine Perennes rapporte qu'à Tréboul près de Douarnenez, après une messe célébrée dès 4 ou 5h du matin dans l'église St Jean, les bateaux prenaient la mer, embarquant non seulement leur équipage habituel, mais aussi les femmes, voire des paysans des environs.
Au milieu de la baie de Douarnenez, après quelques prières pour les défunts, en particulier les marins disparus en mer dont le corps n'a pas été retrouvé, on jetait le filet, un taolig anaon, filet des âmes, qui passait pour être plus fructueux que les autres. Une partie de la pêche ainsi obtenue était gardée pour dire des prières pour les défunts disparus en mer.

LA MAGIE NOIRE POUR FAIRE "DISPARAÎTRE" UNE PERSONNE
Une affaire étonnante, jugée devant le tribunal correctionnel de Brest le 21 décembre 1894, met en scène deux diseuses de bonne aventure, l'une originaire de Quimper, Marie Pansard, l'autre de Douarnenez, Marie Cucu.
Un Brestois de la haute société, monsieur de B., dont les journaux ne donnent pas l'identité, se rend à la foire de Gouesnou et aperçoit la roulotte de la femme Cucu, sur laquelle se détachent ces mots engageants : « Somnambule de 1ère classe de la faculté de Paris ››. Il entre. "Vous aimez, lui dirent-elles, (c'est M de B. qui parle) une jeune personne dont vous voulez être aimé. Il faut pour cela que votre femme disparaisse. La chose n'est pas impossible. Ça vous coûtera 121 francs pour commencer."
En réalité, monsieur de B. est épris de sa jeune belle-sœur et il lui faut donc, pour arriver à ses fins, qu'il se défasse d'abord de son épouse légitime, ce qui est délicat à avouer à l'audience. Voici la scène de satanisme qui est décrite au procès : « La femme Pansard déposa un crucifix dans une assiette où se trouvait de l'éther auquel elle mit le feu, puis les deux femmes s'agenouillèrent et récitèrent trois Pater et trois Ave. L'éther consumé, la femme Pansard remit à M. de B. un morceau de fil et l'invita à y faire trois nœuds. Les nœuds faits, le fil fut placé sur le crucifix. "Si les nœuds disparaissent, ajoutèrent les deux commères, le succès de votre entreprise est assuré". Et les nœuds disparurent. Monsieur de B. ne s'est pas aperçu que les deux femmes ont substitué un morceau de fil intact à celui noué par lui. Confiant, il part avec un flacon contenant l'eau merveilleuse dont il lui suffit d'en répandre quelques gouttes sur le parquet de la chambre de sa femme pour hâter la fin de celle-ci. Mais le succès n'est pas au rendez-vous, et après avoir encore été soulagé de quelque argent, il finit par porter plainte. Les sorcières prétendent à l'audience qu'elles ont agi pour lui faire gagner l'amour de la belle-sœur, mais qu'en aucun cas, elles n'ont voulu tuer l”épouse. À une question du président, Marie Cucu déclare que monsieur de B. lui avait proposé mille francs pour faire disparaître sa femme. « Je lui ai répondu que nous ne pouvions faire mourir personne ››, assure-t-elle. Toutes deux sont condamnées à une peine de prison, vingt jours pour l'une, dix pour l'autre. Quant au mari, monsieur de B., il ne sera pas inquiété !

NOTRE DAME DE PLUMINIAU
On racontait près de Douarnenez qu'un jour un jeune homme avait été jeté à la mer par son oncle, un vieux baron qui convoitait sa fortune. Mais un miracle fit geler l'eau au fort de l'été: la glace se couvrit de verdure, et le jeune seigneur s'avançant sur la pelouse aborda, sans mouiller sa chaussure, au rocher désert de Pluminiau, où il bâtit une chapelle à la Vierge et où il passa six années.

LE ROI AQUIN
Peu de gens connaissent la légende du troisième roi du Menez-Hom, pourtant elle a donné naissance à un des premiers romans de langue romane au XIIIème siècle:
Aquin, roi viking, profita de la guerre de Charlemagne contre les saxons dans l’Allemagne actuelle pour envahir et occuper la Bretagne pendant une petite trentaine d’années. Même si les érudits ne sont plus très sûrs de son existence réelle, sa lutte contre l’empereur à la barbe fleurie a été consignée dans une chanson de geste datant du douzième siècle: le roman d'Aquin.
À cette époque, les trouvères ne chantaient que les héros de la matière de France, c’est-à-dire les légendes tournant autour de Charlemagne et de ses preux, ou bien la vie des saints.
Ici pas de merveilleux ni de créatures bizarres ou féeriques. Pas d’allusion non plus aux légendes arthuriennes dont les rois d’Angleterre n’avaient pas encore fait la promotion pour justifier leur légitimité.
Aquin était un roi « Norrois », ce qui voulait dire viking, qui, par un effet de mode de l’époque et comme Méchant de l’histoire, ne pouvait qu’être Sarrazin et adorateur d’un dieu appelé Tervagant.
Charlemagne lui envoie des émissaires afin qu’il se convertisse et lui jure allégeance mais Aquin refuse. Il s’ensuit une série de batailles rangées où Francs et Bretons s’unissent pour repousser l’envahisseur Aquin et ses guerriers. Ce dernier doit abandonner Vannes où il avait fait construire une tour de guet. Il part si précipitamment qu’il en oublie un de ses petits-fils nouveau-nés. Le bébé sera recueilli par Charlemagne qui l’élèvera à sa cour et lui donnera pour nom « du guet de l’Aquin » qui deviendra plus tard « du Guesclin » dont Bertrand, un des nombreux descendants se rendit si célèbre lors de la guerre de cent ans. Le roi Aquin ne cesse de reculer face aux assauts des Bretons et des Francs. Il termine sa retraite dans la forêt de Nevez près de Locronan, qui était alors beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui, puisqu’il en chasse Saint Corentin qui se trouvait près de Plomodiern. Aquin mourut finalement au pied du Menez-Hom, défait en combat singulier par Nominoé, gouverneur de la Bretagne pour Charlemagne qui en profite pour rétablir sa domination sur la péninsule armoricaine.

EXORCISME EN CORNOUAILLE
Le diable prenait autrefois la forme d'un barbet noir pour se glisser dans les maisons et sucer les doigts des petits enfants jusqu'au sang.
C'était également dans cette sorte de chien que les esprits mauvais exorcisés par les prêtres de toute la Bretagne étaient enfermés. L'exorciste nouait ensuite son étole autour du cou de l'animal pour que l'esprit mauvais y demeurât. Un colporteur était payé pour amener le chien noir au Yeun Ellez et le précipiter dans le marais.
Si l'exorciste n'était pas assez rapide pour emprisonner l'esprit dans le chien, l'esprit allait trouver refuge en haut du Menez-Hom en surplomb de la baie de Douarnenez avant de retourner posséder quelqu'un.

LE MOINE ROUGE DE PLOMODIERN
A Plomodiern, une pauvre femme attardée, passant près du cimetière, vit un soir un cheval noir couvert d'un linceul qui broutait l'herbe des tombeaux.
Tout à coup, une forme gigantesque avec une figure verte et des yeux clairs sortit de derrière une pierre tombale et vint à elle. Terrorisée, elle fit le signe de croix et l'apparition, avec son cheval, disparurent dans des tourbillons de flammes.
Les moines rouges sont d'anciens templiers réputés maudits après leur procès. La chapelle Sainte-Marie du Menez-Hom était auparavant une chapelle templière comme le montre le calvaire érigé par l'ordre du temple dans le champ voisin du Croaz Rouz (croix rouge) et sur lequel est sculptée la fameuse tête barbue adorée par les moines soldats.

LES SAINTS DE PLOMODIERN
Jadis s'étendait une forêt sacrée des abords nord de Quimper jusqu'au pied du Menez-Hom. Aujourd'hui, les vestiges en sont les bois de Nevez près de Locronan et de Lescuz près de Plomodiern. Elle fut le refuge d'ermites célèbres tels que Saint Renan sur la paroisse actuelle de Locronan, Saint Corentin et Saint Modiern sur la paroisse de Plomodiern. Modiern ou Mordeyrn comme plusieurs autres saints du Ve siècle était fils de roi au pays de Galles, peut-être fils d'Edeyrn...
Il aurait chevauché sur la mer en ne mouillant que les sabots de son cheval golden-maned pour se rendre à l'île aux vingt-mille saints de Bardsey au Pays de Galles et ainsi gagné le titre de 'souverain de la mer'. Il est né à Nantglin, où une chapelle lui fut longtemps consacrée. Devenu moine, il traverse la mer et vient s'établir en baie de Douarnenez où il fonde la paroisse (plo) de Plomodiern. Cependant c'est désormais Saint Mahouarn (St Hervé) qui est honoré dans cette localité.

La déesse Brigit
LA DÉESSE DU MENEZ-HOM
Un récent article de la Société Française de Mythologie a attiré notre attention à propos du culte qui était rendu en haut du Menez-Hom et ses conséquences sur le paysage. L'auteur, M. Bernard Sergent expliquait l'origine du nom du lieu-dit les 3 canards, où se trouve d'ailleurs notre siège social, en le reliant à la déesse celte dont une statuette gallo-romaine avait été retrouvée sur les flancs du Menez-Hom en 1913. Pour synthétiser son propos, des avatars de cette déesse apparaissaient sous les traits de Sainte-Brigitte ou d'une princesse du même nom dans plusieurs contes de Haute-Bretagne. Dans les dits contes, la princesse Brigitte invoquait sa sainte patronne pour se protéger d'un danger lié à la mer et se retrouvait métamorphosée en cane et ses enfants en canetons, toujours au nombre de douze. Il en déduisait, à juste titre, que la déesse originelle avaient douze enfants que, pour une raison ou pour une autre, elle transformait en canetons. M. Sergent en concluait que les trois canards du lieu-dit, qui sont des collines pouvant apparaître comme les enfants du Menez-Hom tout proche, étaient une réminiscence des enfants de la déesse celte et c'est pour cette raison qu'ils avaient conservé ce nom. Après avoir rappelé qui était cette déesse celte, nous observerons le paysage alentour du Menez-Hom pour tenter de confirmer la Théorie de M. Sergent.
Qui était donc cette déesse retrouvée sur les flancs du Menez-Hom en 1913 ? Sa statue est désormais au musée de Bretagne à Rennes, mais on peut voir une reproduction de sa tête dans le hall d'accueil de la mairie de Dineault, village dont dépend le Menez-Hom. Il s'agit d'une jeune fille casquée représentée à la manière de la déesse latine Minerve avec un casque orné selon les ornitologues consultés, d'un cygne sauvage. Jules César dans ses ouvrages sur la guerre des Gaules (VI, 17) s'exprime ainsi : « Parmi les dieux, ils (les gaulois) adorent principalement Mercure (…), ensuite Apollon, Mars, Jupiter et Minerve (…). Minerve préside aux travaux manuels d'art. » Bien que les romains aient eu tendance à simplifier les dieux celtes pour les assimiler, la Minerve mentionnée ici peut être rapprochée de la statuette retrouvée sur les flancs du Menez-Hom. Il s'agit donc d'une déesse en rapport avec la guerre et les travaux manuels. Pour essayer de la trouver parmi le panthéon celtique, il importe de se tourner vers les textes qui ont su garder la trace de cette mythologie, à savoir les écrits irlandais et gallois.
Nous y découvrons alors une déesse trinitaire de premier plan appelée Brigit, avatar de la déesse mère primordiale. Elle incarnait, selon Y. Brekilien dans son livre La mythologie celtique, la fertilité, l'habileté intellectuelle et l'habileté technique. Elle était la patronne des druides et des poètes ainsi que des forgerons et des médecins. Fille du dieu Dagda, elle sera nommée Brigantia en Ecosse, Berc'hed au pays de Galles et en Bretagne et Bélisama en Gaule. Lors de sa naissance, la maison de son père fut illuminée et sa tête fut entourée par un halo lumineux à la manière de la représentations des saints catholiques plus tard. Cela lui vaudra le surnom de « lumineuse » ou « très brillante ». Sa trinité recouvrait les différentes catégories de la société indo-européenne chère à Georges Dumézil. Ainsi son côté religieux apparaissait-il dans son patronnage des druides, car elle était la mère des trois premiers. Son côté paysan et nourricier apparaissait dans son incarnation de la fertilité car elle donnait l'abondance en passant dans les maisons qu'elle avait choisies en laissant une empreinte de son pied dans la cendre du foyer. Son côté guerrier se traduisait dans sa protection des forgerons qui fabriquaient les armes et explique ses représentations casquées. Elle présidait aussi aux beaux-arts et aux activités liées à la féminité comme le tissage. Patronne des sources thermales, elle était également la déesse mère guérisseuse et pouvait redonner la vie. On la fêtait le 1er février lors de la grande fête de purification d'Imbolc au cours de laquelle on lui sacrifait un poulet, enterré vivant, à la confluence de trois cours d'eau. Dans la mythologie irlandaise, donc, elle était la fille du dieu Dagda, le dieu le plus important des celtes, le dieu-druide qui régnait sur le temps, l'éternité, la vie et la mort. On le reconnaissait à ses deux attributs principaux : une massue avec laquelle il pouvait tuer et un immense chaudron qui ressuscitait celui qui y était plongé. Dagda était omniscient et omnipotent. À la naissance de sa fille, tout super dieu qu'il était, Dagda fut impressionné par ce qui arriva : un cercle de feu se forma autour de la tête de sa fille, si brillant, que toute la maison sembla s'embraser. La grande lumière avait donc décidé de faire de Brigit sa représentante. Tout se passa bien pour elle au début. Brigit était la déesse de la lumière, des druides, des bardes dont elle aimait écouter la musique pendant des journées entières. Elle était aussi la déesse des forgerons à qui elle avait transmis les secrets pour créer des métaux plus résistants que le simple cuivre. Déesse également de la fécondité, il lui arrivait de se transformer en vache toute blanche et d'aller combler une famille ou une tribu en suscitant des moissons extraordinaires ou en distribuant des trésors. Elle passait parfois aussi par la cheminée en laissant une trace de ses pieds dans la cendre du foyer. Tout se passa bien donc jusqu'à ce que son père, Dagda, s'enivre lors d'un banquet et blesse à l'oeil le dieu Midir qui régnait sur le royaume des fées. En guise de compensation, Midir réclame un manteau, un char et la plus belle des déesses qui n'était autre que Brigit. Dagda accepte à contrecoeur. Dès que Midir voit Brigit, il en tombe amoureux et réciproquement. Mais Midir a déjà une femme légitime, la magicienne Fuamar qui est d'une extrême jalousie. Dès qu'elle apprend ce qui s'est passé avec son mari, elle devient folle de rage et poursuit Brigit en se servant des plus puissants sortilèges de sa magie. Toutefois Brigit est une déesse et ne peut donc être tuée. Fuamar la transforme en mare d'eau en la touchant avec une branche de sorbier. Mais elle se dit que son mari pourrait boire cette eau pour ne faire qu'un avec sa maîtresse. Alors elle la transforme en mouche et la fait emporter par les vents pendant 7 années. Mais elle se dit que son mari pourrait l'avaler par mégarde. Alors elle la transforme en minuscule asticot et la fait tomber dans le monde des hommes. Brigit tombe pendant un temps infini et termine dans une coupe d'hydromel qu'une reine s'apprêtait à porter à sa bouche. Et voilà Brigit avalée par cette femme qui, du coup, tombe enceinte et lui permet de renaître sous forme humaine 9 mois plus tard. Apprenant ce qui s'est passé, Midir devient fou de rage et de douleur. Il fait exécuter sa femme Fuamar et part à la recherche de Brigit. Il va la chercher pendant 20 ans et lorsqu'enfin il va la reconnaître parmi les humains, elle est malheureusement mariée à quelqu'un : le roi Eochaid avec qui elle a eu douze enfants. Midir propose au roi une partie d'échecs avec son propre royaume des fées comme enjeu, contre son épouse. Eochaid accepte et perd ! Mauvais joueur, il refuse de tenir parole, bannit Midir hors de son royaume et enferme Brigit, avec sa progéniture, dans son palais. Mais Midir ne s'en laisse pas raconter. Il parvient à se faufiler à l'intérieur du palais et rejoint Brigit. Il la transforme en cygne avec ses enfants et se transforme à son tour, puis tous s'envolent définitivement vers le monde des fées où Midir fera de Brigit sa nouvelle reine. Selon Marie-Louise Sjoestedt dans son livre Dieux et héros des celtes, cette déesse a survécu jusqu'à aujourd'hui sous les traits de Ste Brigitte, la sainte irlandaise par excellence et le pendant féminin de St Patrick. Ste Brigitte a conservé beaucoup de caractéristiques de l'ancienne déesse. Elle préside notamment aux accouchements depuis qu'elle a aidé la Vierge Marie à accoucher dans l'étable de son père à Bethléem. La statuette trouvée au pied du Menez-Hom correspond donc, par son apparence, à la description de la déesse celte appelée Brigitte en Irlande et Bélisama en Gaule, mais peut-on trouver d'autres indices de cette confirmation dans le paysage du Menez-Hom et alentours ?
Le Menez-Hom, avec ses 330 mètres d'altitude, est une hauteur remarquable dans le paysage local. Comme on sait qu'à ses pieds se trouvait un fanum (temple) gallo-romain remplacé plus tard par une église chrétienne devenue Sainte-Marie du Menez-Hom, on peut en déduire qu'il s'agissait d'un lieu de culte à la déesse dont on a retrouvé la statuette et que l'Eglise a voulu christianiser.
Nous savons également, si nous suivons l'hypothèse de M. Sergent à propos du lieu-dit des trois canards que les enfants de la déesse Brigitte/Bélisama, transformés en canards (en cygnes?), étaient au nombre de douze (les douze mois de l'année ?). Lorsque nous montons en haut du Menez-Hom et que nous regardons alentours, nous pouvons constater de visu qu'il y a douze mamelons dans le paysage qui entourent le Menez-Hom, y-compris les trois collines en enfilade qui ont conservé leur appellation palmipède. Un emplacement de choix, donc, pour traduire dans le paysage le mythe de la déesse. Si l'on ajoute à cela que le sacrifice à cette déesse trinitaire consistait à enterrer un poulet vivant à la confluence de trois cours d'eau, il devrait y avoir un endroit de ce genre dans les parages du Menez-Hom. En étudiant une carte IGN nous en avons repéré un près du hameau de Kerguilly, 2,5 kms à l'ouest du sommet du Menez-Hom et devinez quoi ? C'est là que la statuette de la déesse a été retrouvée en 1913 !
Tous ces indices tendent à confirmer que le Menez-Hom était bien un lieu de culte de première importance pour la déesse trinitaire de la lumière qu'était Brigitte/Bélisama.

LA PÉNITENCE DES VIEILLES FILLES
Il était courant autrefois d'entendre les plaintes des anaons sur les hauteurs de Cornouaille. Le Menez-Hom, les montagnes noires, les monts d'Arée, le mont St Michel de Brasparts, tous ces points hauts avaient leur lot de hantises.
C'était aussi en ces lieux que les vieilles filles étaient condamnées à faire pénitence après leur mort. Toutes celles qui, ayant trouvé à se marier, avaient refusé de le faire, devaient après leur mort, laisser pousser leurs ongles pour gratter la terre et se creuser un deuxième tombeau.

LA VIERGE DE SAINTE MARIE DU MENEZ-HOM
Aux temps anciens, avant la disparition d'Ys, elle fut la patronne de cette légendaire capitale de la Cornouaille.
Quand la ville eut été submergée par les flots, le roi Gradlon, qui s'était enfui sur son cheval gris pommelé, avec saint Gwenolé, vint prendre terre au pied du Menez-Hom.
Sur les conseils du moine, il fit élever au pied du mont une église expiatoire, de proportions modestes, mais qui reproduisait néanmoins en ses lignes essentielles la cathédrale d'Ys.
Il s'apprêtait même à y faire sculpter une sainte Marie en granit bleu toute pareille à celle que la mer avait engloutie avec toute la ville. Gwenolé lui enjoignit d'attendre, et momentanément la niche destinée à la Vierge resta vide.
Mais, un soir, les pêcheurs de Cast, de Penn-Trez et de Plomodiern ne furent pas peu surpris de voir la silhouette rigide d'une femme, que le couchant nimbait d'or, s'avancer majestueusement sur la face de la mer. Elle marchait tout d'une pièce, comme une statue. Et c'en était une.
Parvenue à la grève, elle s'engagea dans le sentier de la montagne, et, le lendemain - qui était un dimanche - la Vierge d'Ys se dressait en pied dans l'église neuve du Menez-Hom. Il paraît que dans sa main droite elle tenait une clef de fer artistement ouvrée. On en conclut que c'était la clef de la ville engloutie. Depuis, un proverbe eut cours, qui disait: « Si jamais sainte Marie descend du Menez-Hom, ce sera pour rouvrir les portes de Ker-Ys. »
Comme le gland engendre le chêne, ainsi le proverbe engendre souvent la légende. Plus tard on raconta dans le pays que la Vierge du mont quittait son piédestal tous les cent ans, durant la nuit de Noël, pour aller montrer l'enfant Jésus aux cités qui dorment sous les ondes.

ST CORENTIN ET SON POISSON
Saint Corentin avait, dans la fontaine voisine de son ermitage à Plomodiern (29550), un petit poisson, qui se laissait prendre familièrement par lui : un jour, il lui coupa une petite pièce de chair sur le dos, et la donna au maître d'hôtel du roi Gradlon (futur souverain de la ville d'Ys).

La vierge de Kerluan
LA VIERGE DE KERLUAN (banlieue de Châteaulin)
Cette statue en granit de la Vierge, datant du XVIème siècle n'avait pas plu à l'abbé Alfred Le Roy car elle tenait le bout de son sein entre son pouce et son index. Il la fit donc ensevelir en 1900 au grand dam des mères locales car cette Vierge n'avait pas son pareil pour rendre féconde les femmes stériles et faire abonder le lait des mères pour les bébés.
Une prophétie du coin stipulait qu'un orage réduirait en cendres ceux qui la déterreraient. Lorsqu'elle le fut en 2007, suite à un acte de vandalisme, point d'orage, mais un formidable coup de tonnerre ébranla la chapelle de Kerluan alors que le ciel était bleu.