Les contes et légendes de l'ile de Sein

Le miroir de l'épaveLE MIROIR DE L’ÉPAVE
D'après une légende recueillie par Anatole Le Braz dans "iles bretonnes"
Un navire espagnol, ou brésilien – je ne sais plus au juste – avait sombré dans la chaussée de Sein, et, de tous ceux qui étaient à bord, hommes d’équipage ou passagers, pas un n’en réchappa, malgré les efforts qui furent faits pour leur porter secours. Pendant les jours qui suivirent, la mer fut couverte de cadavres et de débris. On enterra chrétiennement les premiers, on recueillit et l’on se partagea les seconds, qui ne furent jamais réclamés par personne. Mon grand-père eut, comme les autres, son lot d’épaves. Dans le nombre se trouvait un miroir au verre très épais, avec une belle bordure de chêne, toute sculptée. La glace en était un peu ternie par endroits, à cause du séjour qu’il avait fait dans l’eau, mais il n’était pas autrement avarié, et, quand mon grand-père l’eût un peu astiqué à neuf et suspendu dans la grand-chambre de sa maison, il fut admiré par toutes les personnes qui le virent, car, en ce temps-là, les miroirs étaient une rareté dans notre pays.
La grand-chambre où on l’avait accroché était elle-même une pièce de luxe, réservée aux hôtes du dehors, aux gens d’importance, mareyeurs ou marchands de homards, avec lesquels mon grand-père était en rapports et qui venaient lui rendre visite, une ou deux fois l’an.
En temps ordinaire, elle demeurait close. Nul n’y pénétrait, sauf ma grand-mère, pour épousseter les meubles ou faire la lessive du plancher, et, naturellement, la bonne vieille ne s’attardait pas à se mirer dans la belle glace, se contentant tout au plus de lui donner au passage un coup de torchon.
Or, quelque cinq ou six mois après le naufrage en question, une filleule à mon grand-père, qui habitait Audierne, annonça par lettre son intention de se rendre au pardon de saint Gwénolé qui est la fête de l’île. C’était une espèce de demoiselle, comme toutes les jeunes filles des villes, et il fut décidé qu’on la logerait dans la grand-chambre, pour lui faire honneur. Donc, le jour de son arrivée, ma grand-mère la conduisit à l’étage, dans la pièce qu’on lui avait destinée et ne manqua pas, vous pensez bien, de lui dire dès le seuil :
« Vous allez voir, Marie Dagorn, quel beau miroir nous avons ! »
Mais, tout aussi vite, elle s’écria, la voix changée :
« Tiens ! qu’est-ce qu’il a donc ? »
Le verre qu’elle avait si soigneusement nettoyé la veille était voilé comme d’une brume et des gouttes d’eau ruisselaient de haut en bas, pareilles à des larmes.
« Oh ! fit la jeune fille, un peu d’humidité, sans doute. Ça n’est rien. »
Ma grand-mère n’insista pas, mais elle était intérieurement troublée et, le soir, quand elle fut au lit, seule avec son homme, elle lui dit :
« Tu ne sais pas, Piton ? Le miroir a sûrement quelque chose qui n’est pas naturel. Nous l’avons trouvé qui pleurait. »
Le vieux se moqua d’elle.
« Allons donc !... Tu n’es pourtant pas arrivée à ton âge sans savoir que le verre sue quelquefois ?
– Suer !... Suer !... Pas en plein été, peut-être, et dans l’endroit le plus sec de la maison, encore !
– Ta, ta, ta !... Des bêtises !... Laisse-moi dormir. »
La nuit se passa. Quand ma grand-mère se leva le matin pour préparer le café, elle entendit au-dessus aller et venir la filleule que les cloches du pardon avaient probablement réveillée plut tôt que d’habitude et qui, déjà, devait s’attifer pour paraître à son avantage parmi les îliennes. Puis le bruit des pas cessa et, tout à coup, un grand cri retentit.
« Jésus-Dieu ! qu’est-ce qu’il y a ? » demanda ma grand-mère en se précipitant dans l’escalier.
Elle poussa la porte de la chambre : Marie Dagorn, à demi évanouie sur le parquet, lui désigna du doigt le miroir. Et ce fut au tour de la vieille de reculer d’épouvante, car un visage de femme apparaissait dans la glace, qui n’était ni le sien, ni celui de la jeune fille, ni celui d’aucune personne de sa connaissance. C’était, raconta-t-elle ensuite, une figure blême, avec des yeux blancs, des yeux sans pupilles, et de longs cheveux mouillés qui dégouttaient.
Ma grand-mère n’eut que la force de héler son mari. Il accourut, à moitié vêtu. Mais, dans l’intervalle, la vision s’était effacée.
« Je ne veux pas que ce miroir reste une minute de plus dans ma maison », déclara la vieille.
Et mon grand-père dut le rendre sur l’heure à la mer, qui l’avait apporté.
Conté par le pilote Piton, île de Sein, 1894.

OBTENIR DES VENTS FAVORABLES
Dans la petite chapelle de Goul-Enez dédiée à St Corentin sur l'île de Sein, il y avait une petite statue en bois peint de Corentin où celui-ci apparaissait la figure vieille et rasée, avec des gants gris et une mitre blanche. Dans sa main droite il tenait une crosse épiscopale. celui qui désirait faire changer le vent tournait la crosse dans la direction du vent souhaité.
Si cela ne marchait pas, la statue était fouettée. On la sortait de la chapelle, on la jetait sur la grève et on la recouvrait de goémon jusqu'à ce qu'elle réalise le souhait.
On la remettait alors en place et on lui faisait une offrande en remerciement.

LE BROELLA OU RETOUR AU PAYS
Il s'agit d'un rituel pratiqué sur l'Ile de Sein qui consiste à enterrer symboliquement les disparus en mer. On le connaît également à Ouessant sous le nom de "proella".
Souvent ce sont les disparus eux-mêmes qui viennent prévenir de leur disparition et demandent le broella pour connaître la paix de l'âme.
La famille du disparu fabrique une croix en bois qu'elle place sur un linceul blanc recouvrant la table de la salle à manger.
La croix symbolisant le défunt est entourée de deux cierges.
Les proches et la amis veillent toute la nuit, accompagnés d'une "prieuse des morts", femme âgée et respectée qui récite des prières pour le disparu et un De Profundis.
Le lendemain, le père ou le parrain du disparu porte la croix à l'église où l'on célèbre une messe des morts.
La croix est ensuite enterrée au cimetière.

LES CORBEAUX DE L’ILE DE SEIN
Deux corbeaux avaient l'habitude de se retrouver sur les rochers du Kador et de faire leur nid dans le tumulus de la croix. Frappés par le retour des oiseaux chaque année au même endroit, les iliens ont vu en eux des esprits protecteurs de l'ile. La roche du Kador est devenue « Karreg ar Vran », la roche du corbeau.

LES KRIERENS
Bien que leurs cris soient importuns, plusieurs âmes en peine semblent avoir de bonnes intentions à l'égard des vivants, et tout en implorant un peu de terre sainte ou des prières, elles les avertissent de prendre garde au mauvais temps.
À la fin du XVIIIe siècle, les portes des maisons de l'île de Sein ne se fermaient qu'aux approches de la tempête; des feux follets, des sifflements l'annonçaient. Quand on entendait ce murmure éloigné qui précède l'orage, les anciens s'écriaient: « Fermons les portes, écoutez les Krierien, le tourbillon les suit ».
Ces Krierien étaient les ombres des naufragés qui demandaient la sépulture.
Dans la région du Cap Sizun, en face de l'île, on dit actuellement que les noyés adoptent un cantonnement, où ils crient le soir et le matin, surtout, quand le temps est menaçant. Ce sont les Chouerien, les Crieurs. Ils font quelquefois si grand tapage qu'on ne peut pas habiter près de ce lieu. Il sont invisibles mais parfois, cependant, ils prennent l'apparence de naufragés.
Les Chouerien-Porzen se trouvent dans une petite crique au sud-ouest de Lescoff, près du sémaphore de la pointe du Raz. On a compris quelquefois leurs cris « Ho! la la ! tenna ar bagou da sec'ha! » (Ho la la tirez les bateaux au sec). Bon conseil à l'approche de la tempête. On les a vus quelquefois monter la falaise ils sont sept, marchant toujours à la file. Ils ne font pas de mal, mais assourdissent.
La nuit, les damnés qui habitent le gouffre de Belangenet près de Clohars, creusé par le Diable pour y noyer les âmes des méchants, font également entendre des rugissements continuels.

Le vaisseau fantômeLE BAG NOZ
A l’île de Sein, l'homme de barre du Bag Noz est le dernier noyé de l'année. Une femme dont le mari avait disparu en mer sans que son corps ait été retrouvé, l'aperçut qui tenait la barre, un jour que le Bag Noz passait tout prés d'une des pointes de l’île.
Ce bateau se montre quand quelque sinistre doit se produire aux environs il apparaît sous une forme assez indécise à la tombée de la nuit son équipage pousse des cris à fendre l'âme mais sitôt que l'on veut s'en approcher, la vision disparaît.
Un marin parvint cependant à le serrer, une nuit, d'assez près pour voir qu'il n'y avait personne à bord à part l'homme de barre. Sitôt qu'il lui eut parlé, le bateau disparut. Si le pilote avait dit : Requiescat in pace, il aurait sauvé toute la batelée de morts.
Des ramasseuses de goémon, étant un soir à la pointe de Kilaourou, dans l'est de l'ile, virent les voiles de la bag noz passer à raser la pointe. Parmi elles se trouvait une veuve Fauquet dont le mari, quelques semaines auparavant, avait disparu dans la Chaussée de Sein sans que la mer eût rendu son cadavre. Or quel ne fut pas son émoi de reconnaître, dans le personnage qui menait la barque funèbre le mari qu'elle avait perdu! C'était si bien lui qu'elle ne put s'empêcher de tendre les bras vers son anaon, en criant:
- Jozon! Jozon kès! (Joseph! Cher Joseph)
Mais lui ne détourna pas son visage. Et la barque s'éloigna, silencieuse, ne laissant même pas derrière elle la trace d'un remous dans les eaux qu'elle fendait.
Recueilli par Anatole Le Braz auprès de Marzin, gardien de phare - Ile de Sein, 1896).

LES POMMES DE TERRE DE L'ILE DE SEIN
On raconte à l'île de Sein qu'autrefois le diable produisait des famines qui faisaient périr beaucoup de monde; Saint Gwenolé qui était alors à Landevennec, se mit en prières et Dieu lui donna un boisseau de pommes de terre qu'il venait de créer tout exprès.
Le saint en planta vingt sillons dans l'enclos de son monastère; l'année suivante il planta toute la récolte et la pomme de terre se répandit partout. C'est grâce à elle qu'il n'y a plus de famines en Cornouaille.

LE BAG SORCEREZ (bateau des sorcières)
Si la rencontre du bateau de l'ankou (bag noz ou bateau de la nuit) provoquait la peur chez les marins de l'île de Sein, ils craignaient encore plus le "bag sorcerez" ou bateau des sorcières.
Il n'était monté que par des femmes appelées les "vieilles du sabbat". il s'agissait de vieilles et de veuves qui exerçaient sur l'île les fonctions de "voueuses".
Si l'on désirait provoquer la mort de quelqu'un, on prenait rendez-vous avec l'une d'elles. L'entrevue se déroulait au lieu-dit An Iliz (l'église) entre le village et le phare, à la nuit tombée. On livrait à la sorcière le nom de son ennemi. Pour obtenir la disparition de l'homme, la sorcière devait assister trois fois au sabbat de la mer pour remettre aux mains d'un démon un objet appartenant au malheureux.
Ainsi sévit longtemps à Sein une femme maudite appelée Katouch. Lorsqu'un équipage la croisait sur la bag sorserez en mer, elle confiait au capitaine un secret sur l'île et ses habitants. Si lui ou un des hommes d'équipage le révélait, ils devenaient tous "voués" (ensorcelés).

LE BATEAU DE LA SORCIÈRE OU "Bagou Sorserez" (autre version)
Dans la baie d'Audierne et, surtout aux abords de l’île de Sein, on voit la nuit, des bateaux montés par une seule femme. Ce sont les Bagou Sorserez, les Bateaux des sorcières. Ils sont conduits par certaines veuves de l'île qui ont le mauvais œil.
Malheur à qui aborde un Bagou Sorseurez. La sorcière confie au patron un secret terrible. S'il le dévoile, lui et son équipage seront engloutis, la première fois qu'ils prendront la mer. Si même l'un des hommes dit avoir rencontré le Bagou-Sorserez, il périra dans la semaine.
Au commencement de 1890, un marin d'élite, qui avait vu le bateau des sorcières, eut l'imprudence d'en parler une fois arrivé à terre. Le lendemain, en allant à Brest, il tomba, par-dessus bord, il fut repêché aussitôt, mais il était mort.
Souvent, le matin, on a vu Catouche, la plus redoutée de ces veuves, revenir de la chaussée, toute trempée, avec son panier à goémon vide. Qu'avait-elle pu faire, la nuit dehors, sinon courir la mer ? Elle change son panier en barque, son bâton à retenir le varech en mât, et son tablier en voile.
D'autres veuves de l'île de Sein, qui ont reçu en naissant le don de vouer, auraient une puissance encore plus redoutable. Elles se rendent la nuit aux « sabbats de la mer » sur une embarcation de forme spéciale, qui n'est autre aussi que le panier à goémon. Elles s'y accroupissent sur leurs talons, et leur bâton à goémon leur sert d'aviron et de gouvernail. Elles se chargent de vouer à la mort, dans un certain délai, l'ennemi qui leur a été désigné, à moins qu'il n'ait auparavant réparé le dommage qu'il a fait.
La sorcière doit accomplir trois voyages, assister à trois sabbats, et remettre chaque fois au démon du vent et de la mer un objet ayant appartenu à l'homme qu'il s agit de faire disparaître.

Le phare de tevennecLE PHARE MAUDIT DE TEVENNEC
Construit au large de la pointe du Van, le phare de Tevennec devait sécuriser le passage entre l’île de Sein et la pointe du Raz. Dès sa construction, le chantier a connu bien des déboires relevés par Hyacinthe Le Carguet en 1889.
« Le jour, pendant la construction, au-dessus des travailleurs tournoyaient les oiseaux, surpris d'y voir des êtres vivants, eux-mêmes qui ne pouvaient s`y poser à cause des morts ! Par leurs cris : « Kers-kuit, Va-t'en », ils semblaient prévenir les travailleurs des dangers qui les menaçaient. La nuit, c'était des bruits de gens qui se querellaient, se battaient. Des vieillards parcouraient la roche et le bâtiment. Des croix se dressaient et s’abattaient . Des gens s'y suspendaient. »
Les ouvriers étaient terrorisés par des bruits, des cris, des apparitions : « Des êtres, pâles lueurs, titubaient sur la roche, dressaient des croix pour s`y suspendre ensuite. ›› Les Ponts et chaussées durent recruter de nouveaux ouvriers pour remplacer ceux qui partaient, effrayés par ces lieux qu’ils percevaient comme infernaux.
L’îlot de Tevennec dans le raz de Sein n'avait jamais été un lieu fréquenté et fréquentable pour les êtres vivants. Y bâtir un phare, c’était donc faire abstraction du lieu et de l’esprit des lieux, c`était placer l`homme « pensant» au~dessus d'une nature que René Descartes avait proclamée « inerte ».
La « malédiction » de Tevennec a abondamment servi aux écrivains, Anatole Le Braz, Charles Le Cioffic, jean Merrien, Louis Le Cunff notamment.
Il n`y avait pourtant pas lieu de faire abstraction de la réalité ni de forcer le trait. Ainsi, Anatole Le Braz a-t-il rapporté en 1902 que le Senan Henri Porsmoguer, le premier gardien du phare, s'était battu avec l'âme d'un marin naufrage sur le récif :
« Né et élevé a l'île de Sein, je n’étais pas sans savoir les récits lugubres qui couraient sur Tevennec »
Un marin avait réussi après un naufrage a se réfugier pendant quatre jours sur le rocher en ne cessant d'appeler a laide, mais l'état de la mer ne permettait pas de lui porter secours. Au bout de quatre journées d’agonie, il décéda sur le rocher, mais son âme (son Anaon, en breton) continua de hanter la place ou il était mort et, après la construction du phare, le sentiment général fut que l`on y avait enfermé son esprit.
Après bien des déboires, notre gardien invite cet esprit à descendre boire un verre avec lui. Mal lui en prit, car le fantôme du défunt s’offusqua et le battit comme plâtre. « Le lendemain, Je m'étonnai de ne pas me réveiller avec des cheveux blancs, et quinze jours plus tard j’avais donné ma démission. L’esprit de Tevennec m'avait dégoûté pour jamais du métier de gardien de phare ›› Et pour confirmer cette vérité, il complète sa première description quelques années plus tard : « On raconte que les anciens gardiens morts viennent souffleter ceux qui ont pris leur place. Quand le gardien est assis quelque part, il entend une voix qui lui dit : «Ôtes-toi de ma place».
La version d`Anatole Le Braz fut reprise sans être vérifiée par Charles Le Goffic dans son ouvrage "Sur la côte" (1928), lequel mentionnait la mort de plusieurs gardiens, qui dans son lit, qui emporté par une vague. Il s’est révélé après vérifications que les faits n’étaient pas vrais.

LES COURANTS DU RAZ-DE-SEIN.
Tant qu'il y a un cadavre dans la mer, elle est agitée : elle se mange, en hem zreb. Or, sous les flots du Raz-de-Sein, certains croient que se trouve la ville d'Is, engloutie avec tous ses habitants. La mer roule sur les corps des noyés : de là les courants du détroit.
Les courants changent à toute heure de la marée. Le flot du large vient choquer le jusant du détroit et forme des remous autour des roches. Des retours de marée longent les côtes.
Deux passages existent : entre la Vieille et la terre du Raz, la petite passe pour les bateaux et les caboteurs ; entre la plate de la Vieille et l'île de Sein, au milieu du Raz, le grand passage, fréquenté par les navires.
Dans la petite passe, aux trois dernières heures du jusant, la marée du Raz, mour ar Raz, porte sur les écueils de la Vieille. Rien ne peut en tirer un navire engagé par temps calme. La houle du large le porte en travers ; « s'il n'obéit pas au gouvernail, au rocher il le « fera sûrement. »
Nep ne sent ket ouc'h ar stur, Ouc'h ar garrec a ra sur !
Les remous le font tourbillonner entre les roches : il talonne et disparaît. Combien n'en a-t-on pas vus ainsi sombrer en quelques instants, sans laisser de traces ! Leurs débris, saisis par les courants sous-marins, sont repris par les retours de marée de la pointe du Van, et dispersés. Ils viennent, quelquefois, mais longtemps après, broyés et déchiquetés, s'étaler sur la grêve des Trépassés.
Dans le grand passage, le jusant et le flot occasionnent des courants de la plus grande violence. Celui du jusant porte au sud, sur la Queue du Chat (extrémité de l'ile de Sein) ; celui du flot, au nord, sur les Barillets. Écueils et brisants aux deux extrémités !
Les vents opposés aux courants déterminent comme un fleuve au milieu du Raz-de-Sein. Les bords de ce fleuve, par suite des vitesses différentes des nappes d'eau, s'élèvent en deux murailles qui séparent le courant du reste de la mer. Entre ces murailles, la mer se soulève en lames hautes et courtes ; elle se broie, en hem zraill.
Pas de manœuvre possible ! Si la vague ne tombe, de toute sa masse, sur le navire et ne le coule à pic, le courant l'entraîne sur les brisants. Heureux, si une roche, entrée dans son flanc, le maintient immobile jusqu'à la fin de la marée ou le retour de l'accalmie. Vingt-trois navires sont ainsi venus se perdre, la même année, sur les rochers de l'île, à la Queue du Chat et à Beg ar C'hale. On ne peut savoir le nombre de ceux qui périssent corps et biens dans ce passage.
Les bateaux et les navires à voiles profitent des courants favorables pour passer le Raz. On les voyait autrefois, avant la navigation à vapeur, par centaines, en panne, dans la baie d'Audierne et dans celle des Trépassés, attendant la marée et la renverse des courants.

DANGERS MYSTÉRIEUX ENTRE SEIN ET LA POINTE DU RAZ.
Ce sont surtout ces périls que redoutaient les anciens matelots. Le courage peut vaincre parfois la tempête et les flots. Contre ceux-ci, ils n'ont que le recours de Dieu et des Saints.
Les périls mystérieux du Raz-de-Sein sont partout : sous l'eau, sur la mer, dans l'air.
La ville d'Is. — Sous les flots se trouve la ville d'Is. Elle occupait tout l'espace compris entre Penmarc'h et le Raz. Elle avait neuf lieues de long. L'île de Sein en faisait partie. Lorsque la ville fut engloutie, un prêtre y disait la messe : il la continue encore, mais ne peut la terminer, car il n'y a plus personne pour la lui répondre. Si un vivant faisait le répons au verset où il est arrivé, la ville d'Is reviendrait sur l'eau, en l'état où elle se trouvait au moment de sa submersion.
Les bateaux dans le Raz-de-Sein naviguent au-dessus d'Is et de ses habitants noyés, comme au-dessus d'un cimetière. Que de choses ne voit-on pas dans les cimetières !

DANGERS MYSTÉRIEUX ENTRE SEIN ET LA POINTE DU RAZ.
La Sirène de l'Ile de Sein. — Souvent, autour des bateaux, on voit paraître la Sirène. C'est Dahut, la fille du roi Gradlon ! Elle annonce toujours la tempête. Il n'est que temps de gagner le port.

Les sorcières de SeinLES BAG NOZ DE L'ILE DE SEIN (autre version)
Sur la mer, au brun de nuit, lorsqu'un bateau se trouve vent debout, la terre masquée, souvent, devant lui, il aperçoit un autre bateau, même voilure, mais vent arrière. Vite, il arrime ses voiles, fait cap dessus, mais tout à coup le second bateau disparait, et le premier se trouve dans les brisants : c'était le Bag-Noz, le Bateau de nuit, qui mène toujours au danger.
D'autres fois, c'est un bateau rempli de lumières ; on n'y voit personne ; on n'y entend aucun bruit. Ce sont encore des bruits d'avirons, des commandements d'étarquer les voiles; mais alors on ne voit rien. C'est le Bag-Noz des morts qui fait, sur mer, l'office de Carrik Ankou, le Chariot des morts, des morts sur terre. Il est commandé par le premier mort de l'année. Une dame d'Audierne perdit son mari du choléra, le 1er janvier 1886. Cette dame n'a plus d'autre nom que "An Itron'n Ankou", la Femme de l'Ankou. Lorsque ce Bag-Noz est commandé par un vieillard, il y aura, dans l'année, mortalité sur les enfants; le contraire arrive, si le capitaine est un enfant : ce sont les vieillards alors qui mourront.
Souvent encore, surtout aux abords de l'île, on voit la nuit, des bateaux montés par une seule femme. Ce sont les Bagou sorserez, les Bateaux des sorcières. Ils sont montés par certaines veuves de File qui ont le mauvais œil.
Celui de la veuve Catouche fut le plus redouté. Malheur à qui aborde un Bag sorserez ! La sorcière confie au patron un secret terrible. S'il le dévoile, lui et son équipage seront engloutis, la première fois qu'ils prendront la mer. Si même l'un des hommes dit avoir rencontré le Bag-Noz, il périra dans la semaine. Au commencement de cette année, un marin de l'île avait vu le bateau des sorcières. Il le dit, en venant à terre. Le lendemain, en allant à Brest, il tomba par-dessus bord. Il fut repêché aussitôt, mais il était mort.
Souvent, le matin, on a vu Catouche revenir de la chaussée, toute trempée, avec son panier à goémon vide. Qu'avait-elle pu faire, la nuit dehors, sinon courir la mer ? Elle change son panier en barque, son bâton à retenir le varech en mât, et son tablier en voile.

LES LUTINS DE L'ILE DE SEIN
Le long des côtes, on voit, le soir, des feux courir sur les landes et les dunes. Ne les appelez pas, car à peine le mot sorti de votre bouche, ils seraient sur le plat-bord, et malheur à vous ! il faudrait vous crocher avec eux : ce sont des lutins qui cherchent toujours quelqu'un pour se battre.
A Kelaourou,. vers l'île, ce sont les Begou-Noz, feux qui voltigent et parlent : ils répètent toujours les paroles qu'ils entendent.

LES NOYÉS DE LA POINTE DU RAZ ET DE SEIN
Ils sortent de la mer, en processions, à l'anse du Vorlen, dans la baie des Trépassés, traversent la lande, puis le sable de la baie des Trépassés, et remontent vers Laoual, sous Lescoff, et le tumulus surmonté du corps de garde de Saint-Michel. Ils font un bruit si grand qu'un vivant mourrait de frayeur, s'il l'entendait de près. On a vu souvent ces processions de morts.
D'autres fois, ce sont des appels, des prières, mais l'on ne voit rien. Ces cris s'entendent toujours aux mêmes places. Ce sont les noyés, enterrés dans les sables de la baie des Trépassés, qui réclament une poignée de terre bénite.
Quelques fois les noyés adoptent un cantonnement, où on les entend crier le soir et le matin, surtout à l'approche du mauvais temps. Ce sont les Chouerien, les Crieurs. Ils font quelquefois si grand tapage qu'on ne peut pas habiter même près de l'endroit qu'ils ont adopté. Ils sont invisibles. Parfois cependant ils paraissent comme s'ils venaient de faire naufrage;
Les Chouerien-Porzen se trouvent dans une petite crique au sud-ouest de Lescoff, près du sémaphore de la pointe du Raz. On a compris quelquefois leurs cris : Ho ! la ! la ! tenna ar bagou da séc'ha ! (Ho! la! la! tirez les bateaux au sec!)
Bon conseil à l'approche de la tempête ! On les a vus quelquefois monter la falaise : ils sont sept marchant toujours à la file. Ils ne font pas de mal, mais assourdissent par leurs cris. Le poste des douaniers de Porzen a dû être abandonné pour cette seule cause.
Au mois de mars, après les tempêtes, on entend, la nuit, toujours au nord de soi, des jappements, au haut des airs, mais si haut qu'on ne peut rien apercevoir. Ce sont les Chass ar Gueden, les Chiens des Equinoxes, esprits sortis de l'enfer, qui essaient de remonter au ciel. Dans les terres, au fond du vallon des Trépassés, à Lézanquen, au contraire, on dit, aux enfants, que ce sont les anges qui pleurent.

SINGULARITÉ DE L'ILE DE SEIN
L'île de Sein avait une singularité évoquée au premier siècle de notre ère par Pomponius Mela, géographe romain vers l'an 40.
"Séna dans la mer britannique, en face du littoral des Osismes, est célèbre par l'oracle d'une divinité gauloise dont les prêtresses, consacrées par une virginité perpétuelle sont, dit-on, au nombre de neuf. On les appelle les Gallicènes et on les croit douées du pouvoir singulier de soulever les mers et les vents par des formules magiques, de se métamorphoser à volonté en n'importe quel être animé, de guérir des maux qui, pour d'autres, sont incurables, de connaître et de prévenir l'avenir"( tiré de De Chorographia, III, 6, 48 éditions des Belles Lettres)
Au XVIIème siècle, elles ne sont plus que trois à dire l'oracle au nom du dieu-soleil (LughusBelenos christianisé?). le missionnaire Michel Le Nobletz les fera arrêter et enfermer dans un couvent après les avoir ramenées sur le continent.

LE SEIGLE DU DIABLE
Un jour à l'ile de Sein, le diable se vanta auprès de St Gwénolé de pouvoir faire pousser sur l'ile un blé aussi beau que celui de Dieu. Comme le saint le mettait au défi, Satan fit pousser son blé qui sembla comparable à celui de Dieu mais il eut beau le battre, aucun grain n'en sortit car les épis étaient vides. C'est le "seigle du diable" encore présent sur l'ile.

ORIGINE DE LA POMME DE TERRE
On raconte sur l'ile de Sein qu'autrefois le diable provoquait des famines qui faisaient périr beaucoup de monde en Cornouaille. Saint Gwénolé, alors abbé de Landevennec, se mit en prière pour demander une solution. Dieu lui envoya un boisseau de pommes de terre qu'il venait de créer tout exprès. Le saint les planta puis les récolta et la pomme de terre se répandit partout. c'est grâce à elle qu'il n'y a plus de famines sur Terre.

Une druidesseLES PRÊTRESSES DE SEIN AU XVIIe SIÈCLE
Le prédicateur Michel Le Nobletz, vers 1614, trouva encore à l'île de Sein des femmes qui enseignaient les mystères du soleil sous le nom de Doue-Tad, que l'on venait surtout consulter avant d'entreprendre un long voyage.
On en comptait trois, qui reçurent, d'après les traditions de la Cornouaille bretonne, l'eau du baptême des mains de Michel Le Nobletz, qui les fit passer sur la terre ferme. Ces druidesses finirent leur vie dans un monastère où elles avaient pris le voile, et moururent fort vieilles, dit encore la tradition.
(ELVIRE DE CERNY, in l'Avranchin, février 1858).

L’HABITANT DE LA LUNE
A l'île de Sein, on dit que dans la lune se trouve un voleur de choux. Il tient en main une brassée de ces légumes, pour se cacher; mais il cache, en même temps, une partie de la lune. Sans cela la lune serait aussi claire et brillante que le soleil.

TRADITIONS LIÉES A L'ARC EN CIEL
Au contraire de la tradition biblique, l'arc-en-ciel, dans la croyance de la population maritime du Cap-Sizun et de l'Ile de Sein, est toujours un mauvais présage. C'est un signe de violentes perturbations atmosphériques qui peuvent déterminer les plus grands cataclysmes. Aussi est-il de toute nécessité de le conjurer.
Sur mer, on ne peut rien contre lui. Il est au-dessus de l'élément qu'il a pour office d'aspirer. Il pompe sans cesse et détermine grains, rafales, coups de vent qui arrivent subitement. Le marin n'a que le temps d'amarrer ses drisses pour parer le coup.
A terre, au contraire, on coupe l'arc-en-ciel en traçant des croix sur le sol ou en érigeant des pierres.

LA TÊTE DU CHAT SUR L'ILE DE SEIN
Entre la Pointe du Cap Sizun et l'Ile de Sein, à l'entrée du Raz, du côté sud, se trouve la roche du Chat. La crête, qui émerge, est la Tête du Chat. Le Chat guette le Raz.
Le flot porte dans le raz de Sein et conduit au port de l'Ile. Quand un bateau a manqué le flot, le jusant le porte au sud de l'Ile. Pour gagner le port, il est obligé de faire tout le tour de l'ile, par l'ouest et le nord. C'est ce qui s'appelle faire le tour des Rats (ober tro ar raed). L'équipage à qui cela arrive est l'objet de toutes les moqueries des Isliens.
Voici le fait qui donne lieu à cette acception :
A la fin du XVIIIe siècle, une galiote hollandaise avait touché sur la Tête du Chat. Le courant la fit échouer sur l'ilot de Kilaourou, au Sud-Est de l'Ile. De ses flancs, s'échappèrent une énorme quantité de gros rats roux, espèce inconnue aux Isliens. Les rongeurs pullulèrent sur l'ilot de Kilaourou, dévorant tout, blés, racines. Bientôt, ne trouvant plus à se nourrir, ils émigrèrent, de proche en proche, sur l'ile de Sein, en contournant la rive ouest, pour gagner la chapelle St-Corentin et le nord de l'ile. C'est la route que suivent les bateaux, en côtoyant, pour faire le tour des rats. Pour se débarrasser des rongeurs, on porta sur les iles de Kilaourou et de saint Corentin, des nichées de petits chats.
Mais les rats, aussi gros qu'eux, en vinrent facilement à bout. Quelques-uns, cependant, survécurent à la lutte, et leurs descendants ont fait souche d'une race de chats sauvages, réputés comme les meilleurs chasseurs de toutes les espèces de chats.